La connaissance est distribuée sur le réseau mondial, accessible par tous et en tout lieu. C’est un fait ! L’homo-complexus est l’Homme de la connaissance. La connaissance étant le véritable pouvoir, l’homo-complexus est celui qui peut, en tant qu’individu, avoir une action directe sur son monde.
1. Qui est le sachant ?
C’est la crise de la pédagogie, l’enseignant doit faire face à la présomption de connaissance. Cette présomption qui pousse celui qui est en position de sachant à devoir adapter son discours à un auditoire qui en sait sûrement plus que lui sur le sujet traité. La connaissance a été objectivée en un monstre de connaissance qu’est Internet. L’École était historiquement le lieu de concentration de la connaissance par excellence. Ce n’est plus le cas.
Le fait que nous ayons changé d’espace, pour passer d’un espace euclidien à un espace topologique implique fatalement que les lieux de concentration de la connaissance doivent s’adapter. Les universités appartiennent de ce point de vue là, à un autre monde. La connaissance se trouve et se crée sur la toile, par des communautés émergentes. Celles qui ne sont pas figées dans le temps et dans les murs. La connaissance ne se concentre plus dans des lieux établis mais elle évolue plutôt dans cet espace topologique, qui se déforme et s’étend.
Et ce qui s’applique aux universités, s’applique de la même manière aux entreprises. Les entreprises, ces lieux de concentration où l’on essaye de créer de la connaissance en vue de délivrer une valeur. Nous créons des structures juridiques dont le but est de contenir des individus afin que d’elles puissent jaillir l’innovation. Mais dans le même temps, nous ne laissons que peu de place à l’intelligence collective pour s’exprimer. Et lorsque cette dernière s’exprime, ce n’est que lors d’évènements, hackathon par exemple, bien trop rares.
2. La connaissance d’élevage et la connaissance sauvage
La présomption d’incompétence est bien présente dans les entreprises : les structures embauchent des individus pour leur dire ce qu’ils ont à faire. Steve Job disait que cela n’avait pas de sens d’embaucher des gens intelligents pour leur dire ce qu’ils devaient faire, mais plutôt qu’il fallait les embaucher pour qu’ils nous disent ce qu’il fallait faire ! Très précisément car, d’une part, la connaissance ne se trouve plus exclusivement dans des lieux de concentrations figés mais bien en tout lieu. Et puis d’autre part, car la connaissance en dehors des entreprises est bien plus conséquente et hétérogène car elle échappe à l’ordre d’une structure établie. Pour utiliser une image, il y a de la connaissance d’élevage dans les entreprises et de la connaissance sauvage dans l’écosystème.
La connaissance sauvage évolue inlassablement en dehors de tout cadre ou limitation. Elle est le fruit d’expériences, de croisements, de fusions de domaines différents. La biologie va se mêler aux techniques d’ingénierie pour donner naissance à la biotechnologie, les sciences cognitives à l’informatique pour voir l’émergence de l’intelligence artificielle avancée. Tout cela ne peut que difficilement voir le jour dans l’environnement ordonné et contraint que constitue l’Entreprise. Telle que nous la concevons aujourd’hui, l’Entreprise est cette entité qui tourne en circuit fermé et qui aspire lorsque sa connaissance commence à flétrir, de la connaissance fraîche en dehors de ses murs afin de maintenir une certaine stase. Les individus en place cherchant une certaine maîtrise sur ce qu’ils savent.
Pour en revenir à l’individu, je peux statuer, sans trop de risque, que son rapport au monde a changé. Il baigne dans la connaissance, la connaissance étant le pouvoir réel, il se sait puissant. C’est à dire qu’il se sait en capacité à être un élément déterminant dans ce nouvel espace. Et par conséquent, la politique, au sens du rapport à la vie de la Cité, change pour s’adapter à ce changement d’espace. Au fait que les possibilités d’interactions possibles se sont démultipliées. L’individu est en capacité d’influer sur le système. Il n’est plus nécessaire de faire partie d’une caste politique pour agir sur la vie de la Cité comme il n’est plus nécessaire de faire partie du show business pour être une personnalité connue. Tout ceci est rendu possible; car en distribuant la connaissance, le système a distribué le pouvoir.
Autre tendance intéressante, l’évolution de l’aspect légal du rapport de l’individu à l’entreprise. La tendance est la simplification dans la manière dont les personnes rejoignent et quittent les entreprises. La législation régissant les rapports de subordination est remis en question avec les récents projets de lois sur le code du travail. Le lien de subordination n’a plus lieu d’être car la présomption d’incompétence ne tient plus. Les structures sont des lieux de concentration qui tentent d’attirer les détenteurs de la compétence. A l’instar des universités qui tentent d’apporter aux étudiants ce qu’ils sont déjà en mesure d’apprendre par eux-mêmes sur le monde.
3. Les structures émergentes et éphémères
L’image qui représenterait le mieux les structures émergentes et éphémères des entreprises de demain serait un réseau d’individus indépendants qui constituerait le système d’exploitation et les entreprises qui seraient des applications qui s’installeraient puis disparaîtraient en fonction du besoin du système. Le réseau se modifierait à mesure des entreprises qui se font et se défont. Les individus choisiraient avec qui ils souhaitent entretenir une relation et avec qui ils ne souhaitent plus être en interaction. Ce réseau existe déjà, il ignore juste son existence.
Le réseau ne cesse de se redéfinir, il est en constante adaptation. Il constitue cet espace topologique qui matérialise les interactions entre les individus. Le réseau est pérenne. Les entreprises, sont éphémères, elles apparaissent, livrent leur proposition de valeur et disparaissent. Elles ne devraient pas s’accrocher à la vie en se réinventant une raison d’être de circonstance. Plutôt, elle devrait accepter de devenir le terreau fertile d’autres propositions de valeur.
4. Les entreprises doivent accepter de mourir
Les entreprises ne peuvent plus être ces lieux de concentration où l’on essaye désespérément de conserver les individus en place. Elles doivent devenir ces espaces que l’on décide de rejoindre pour apporter une compétence et une envie de participer. Les individus y évoluant peuvent participer à plusieurs propositions de valeurs en même temps. La notion d’appartenance à une structure légale devra être abandonnée pour un sentiment d’appartenance à un ou plusieurs projets humains.
Les attracteurs, seraient ces individus qui attiraient vers eux l’intérêt des personnes de leur réseau. Les personnes décident quels sont les attracteurs qu’elles souhaitent rejoindre. Sur la base des valeurs et de la vision de l’attracteur. Le partage des valeurs communes. Des rêveurs qui attirent à eux des personnes qui partage leurs rêves. L’individu au centre du réseau. Tout individu est finalement au centre du système.
C’est un monde ou le salariat n’existe plus, qui se profile à l’horizon. Déjà palpable. Les entreprises doivent abandonner leurs murs. Elles doivent renoncer à être ces lieux de concentrations ou la connaissance dépérit inéluctablement. L’individu devra accepter d’abandonner le confort de la passivité qu’est le salariat. L’homo-complexus représente cette mutation, cette adaptation au monde complexe. Demain nous devrons tous être acteur de cette vie.
Comme dirait Michel Serres, nous sommes condamnés à devenir des êtres intelligents.