Troisième et dernier article de notre mini-série traitant de la “Data Democracy”. Sujet d’abord culturel en plein essor, elle mérite d’être expérimentée dans nos entreprises de tout secteur, toute taille. Nous vous proposons de détricoter cette forme de démocratie en entreprise en trois points : les droits, les devoirs, et la gouvernance.
“CDO” pour Chief Data Officer ou Chief Digital Officer.“ CDO”, car rôle dans la famille des CxO (CEO, COO, CFO, etc.). Pourtant ils sont encore rares, du moins en France, à être systématiquement présents aux directoires des entreprises. Serait-ce justement un problème d’avoir un pouvoir sur la donnée et donc l’information ?
Est-ce qu’avoir la main sur la data et posséder un pouvoir exécutif changerait la donne dans l’organigramme de nos entreprises du CAC40 ou même du All Trade 120 ?
Pensons juste à quelques succès en regardant quelques années seulement en arrière : Apple, Facebook, Google, puis AirBnB, Spotify, Uber, Doctolib, …
Nous pouvons penser que nos CxO historiques demeurent sceptiques ou dubitatifs quant aux rôles que jouerait un CDO à leur directoire.
“The CDO must be the company’s central leader and integrator in the digital transformation process, serving as an intermediary between all other executives and functions in the rollout of digital initiatives and capabilities, fully integrating business and technology, and closing digital performance gaps that exist in and between the various functions and business units of the organization”
Rowan Gibson, The Rise and Role of the Chief Digital Officer
Cependant, dans les faits, considérant l’état de la data dans nos entreprises et leur niveau de maturité, il est finalement préférable de considérer le CDO comme un leader, plutôt qu’un chef. Il est certes l’acteur le plus haut placé sur ce changement de paradigme, mais son enjeu premier est de rassembler les équipes au sein d’une organisation.
Certaines organisations complexes ont misé sur la localisation pour déployer la fonction de CDO : les CDO se multiplient au sein de leur organisation, positionnés sur leur silo : des silos existants qui malheureusement ralentissent, voire bloquent les initiatives transverses.
À l’image des innovations managériales ou des frameworks agiles, la data democracy est un concept intrinsèquement résilient face au modèle organisationnel en place. La data democracy s’intéresse avant tout aux collaborateur.rices, leurs interactions et leur alignement au sein de l’entreprise. Elle s’intéresse aux postures et aux compétences à engager. Elle s’intéresse finalement à démocratiser les usages actuels et à venir sur la data et l’IA en harmonie avec un cadre de gouvernance qui définit l’éthique et la responsabilité de chacun.e.
Mais comme tout le monde n’est pas Google, justement, il convient de considérer l’organisation en place comme une force. Il est alors possible de capitaliser sur celle-ci pour la valoriser, en tirer les meilleures pratiques et compétences disponibles sur la data.
Nous pouvons donc considérer le CDO comme un patron, mais un leader avant tout.
Que pourrions-nous alors attendre d’un CDO ?
Les digital natives ne souffrent pour le moment pas du manque d’un CDO (pourvu que ça dure), mais ce n’est pas le cas de nos entreprises classiques historiques, qui recrutent ou promeuvent de plus en plus de CDO dans leur organisation.
Similairement à une communauté data à imaginer et à co-construire, nous constatons le peu de recul sur ce nouveau rôle dans nos entreprises. C’est le temps de l’expérimentation.
De la littérature anglaise existe et apporte des bonnes pratiques, des retours d’expériences, des témoignages, mais cela paraît toujours distant culturellement en France tant qu’un leader ne l’incarne pas dans son entreprise. Notons cependant que, grâce à Gilbert TON et Alain Yen-Pon, un ouvrage en français est désormais disponible.
Si nous devions réaliser la fiche de poste d’un Chief Data Officer, comment serait-elle construite ?
Vous êtes très proche de votre Direction Générale ou tendez à l’être.
Sur un asset à fort potentiel mais qui porte la complexité de toute son organisation, l’enjeu d’un CDO est de taille. Les sujets d’innovation ont été un rapide tremplin, mais les CDO sont aujourd’hui violemment rattrapés par les enjeux classiques de compétitivité et d’optimisation, ou des risques de plus en plus nombreux et impactants.
Cadre supérieur, vous faites preuve de leadership, de diplomatie, d’écoute et l’éthique est importante à vos yeux.
Dans cette ère, le CDO doit être ce mouton à cinq pattes pour assurer le partage de sa vision, pour convaincre, embarquer des collaborateurs et des équipes dans sa trajectoire, et pour clairement contribuer à la stratégie de son entreprise, avec de vrais impacts, de vrais apports, de vraies réussites.
“Leaders are people who do the right thing; managers are people who do things right.”
Professeur Warren G. Bennis
Vous êtes un bon communicant et vos conseils sont impactants.
Créer quelque chose seul.e, c’est compliqué, voire impossible. Il faut faire preuve de leadership. Mais plus particulièrement, un CDO doit être muni d’une bonne communication. Reconnaître son audience, connaître ses pairs, ses collaborateurs et savoir livrer les bons messages sont une science. Alors au sein d’une organisation, l’enjeu est double : savoir communiquer, mais savoir embarquer les RH et les équipes de conduite du changement.
Vous êtes majoritairement issu d’une promotion interne.
Reconnu d’abord pour ses compétences managériales et son aisance sur les sujets transverses, les origines du CDO sont aussi bien métiers que IT. Considérant que les bonnes idées peuvent aussi venir de l’extérieur, des entreprises misent sur le recrutement, mais quelques-unes misent sur la mobilité et la promotion en faisant le choix de la connaissance du patrimoine et du réseau.
Vous évoluez surtout dans l’assurance, l’industrie ou la grande distribution.
Le CDO est paradoxalement présent dans des entreprises de plus de 3000 salariés (Groupes, GE, ETI riche) et de moins de 250 salariés (PME, MIC). Les secteurs les plus représentés sont logiquement ceux qui ont d’abord été contraints par la réglementation (Solvabilité 2, BCBS 239). Mais comme nous l’indiquions plus haut, tous les secteurs investissent pour le simple besoin de demeurer compétitif. Peu de représention en Santé, Transport ou Presse, pour ne citer qu’eux.
Votre rémunération est située majoritairement en dessous des 100k€.
Selon vous, êtes-vous payé à la hauteur des enjeux et de vos responsabilités ? Posez la question à votre boss…
Le progrès des femmes et des hommes est pour chacun.e assez linéaire
Nous avons également constaté un turnover des CDO assez élevé dans nos organisations. Cela ne démontre pas une incompétence, mais plutôt une question de timing sur lequel un CDO est impuissant face à son organisation.
“Now, get ready for some sobering statistics: through 2019, 90% of large organizations will have hired a CDO — but of these, only 50% will be hailed a success, according to Mario Faria, managing vice president, Gartner Research.”
d’après une enquête de Gartner
Un best seller documente assez fidèlement le parcours de nos CDOs dans nos organisations à travers des générations (1ère, 2ème et même 3ème). Cette théorie sera abordée dans nos prochains articles.
Ils en parlent depuis quelque temps
Dataversity
“[…] le CDO peut encourager – et autoriser – à trouver des réponses de manière indépendante. Le fait de pouvoir mettre en évidence un terme sur un reporting, de le rechercher dans le glossaire des entreprises et de trouver la signification du terme ainsi que le propriétaire des données donne du pouvoir aux utilisateurs […].
Un CDO peut établir une communication bidirectionnelle efficace en encourageant les utilisateurs à poser des questions, en leur montrant où commencer à chercher des réponses, et en facilitant ce processus. “C’est ainsi que l’on commence à établir une culture de la maîtrise des données”.”
Traduit de l’anglais depuis Dataversity
LVMH
“Je pense que toutes les entreprises sont des Data Company, la question est ‘est-ce que vous le reconnaissez ou pas ?’” déclare Ian Rogers. Comment être une Data Company quand on est un groupe de luxe qui cultive le respect de la vie privée de ses clients ? « Ce que j’ai dit à Bernard Arnaud, il y a quelques années quand j’ai rejoint le groupe [NDLR : en octobre 2015], c’est qu’il y a une distance entre ‘on ne fait rien avec la donnée’ d’un côté, et ‘on fait tout avec les données de l’autre’, c’est-à-dire même des choses terrifiantes et qui sont questionnables d’un point de vue de la vie privée.”
Ian Roger, CDO chez LVMH
Chez Wewyse
“Une société pratiquant la data democracy présenterait selon moi des droits et des devoirs clairs quant à la data à chacune de ses parties prenantes. La transparence serait un élément central donc, sauf données sensibles, les données sont accessibles à tous.
Jimmy Alric, CEO
Les utilisateurs peuvent accéder à leurs données personnelles mais aussi les supprimer ou les modifier (donc respect du RGPD).”
Dans nos prochains articles, nous aborderons le rôle du CDO à travers le temps dans nos entreprises ; ces fameuses générations de CDO.