Prenez un groupe de personnes impliquées dans le cycle de conception de produits et posez-leur une question d’apparence simple : “Pour vous, c’est quoi le Product Discovery ?” Il y a fort à parier que vous obtiendrez des réponses du genre : “C’est le contraire du Product Delivery”, “C’est tester des hypothèses en amont du développement”, “À moins que ce ne soit aller à la pêche aux feedbacks et aux informations ?”, “C’est repérer les opportunités business et les ressources à disposition”, “Hum, c’est pas le job du Product Owner ?”, “À moins que cela ne fasse partie des responsabilités du Product Manager ?”, “C’est un état d’esprit : se concentrer sur les problèmes de l’utilisateur… et trouver des solutions !”
Vous l’aurez compris, il existe autant de définitions et de solutions que d’individus différents. Mais, en témoigne notre panel, rares sont celles et ceux qui tiennent compte du fait que le Product Discovery est avant tout une démarche d’apprentissage et d’amélioration continue.
Or, quelle est la principale caractéristique de l’apprentissage sinon celle de ne pouvoir être enfermé dans aucun carcan ? Le reconnaître, c’est s’affranchir enfin du débat d’experts. Car, nous allons le voir, personne n’a le monopole du Product Discovery !
1. Un domaine réservé ?
Bien sûr, cette démarche n’est pas apparue du jour au lendemain. Le Product Discovery n’a pas surgi ex nihilo. Melissa Perri, Teresa Torres, Marty Cagan, etc. Lui aussi a ses têtes pensantes, ses fonctionnalités, ses méthodes… et ses bibles : Escaping the Build Trap: How Effective Product Management Creates Real Value, Continuous Discovery Habits: Discover Products that Create Customer Value and Business Value, Inspired: How to create tech products customers love. Mais, même Marty Cagan, auteur du dernier livre et père spirituel du Product Discovery, admet ne pas être à l’aise avec les nomenclatures… Elles entrent, selon lui, en contradiction avec la vision et l’ouverture d’esprit qu’il souhaitait insuffler avec l’idée de Product Discovery.
Son origine ? Elle est à chercher du côté du monde de la recherche et, plus particulièrement, de l’industrie pharmaceutique qui inscrit le risque au cœur de sa culture scientifique. En effet, la plupart des médicaments ne passeront jamais la porte des laboratoires de recherche. Inefficaces, dangereux, allergènes, etc. : autant de critères qui en interdisent la création, la production, la distribution et, dernière phase du cycle, la vente.
Ainsi, le vocable “discovery” traduit ce long processus qui permet, étape après étape, d’aboutir à un médicament viable, qui marche. Par-delà la seule industrie pharmaceutique, il encourage le Product Manager et son équipe à envisager les risques de valeur, d’utilisabilité, de faisabilité et de viabilité.
Le Product Discovery en 4 points clés :
- Valeur
- Utilisabilité
- Faisabilité
- Viabilité
Autre avantage du Product Discovery selon Marty Cagan ? Sa neutralité. Impossible, en effet, d’associer “discovery” à une quelconque technique ou à une méthode particulière. Un point de détail essentiel car, si les techniques et les méthodes vont et viennent, le “discovery” lui reste. Pourtant, malgré ce caractère agnostique, le discours qui entoure le Product Discovery demeure encore inaudible pour bon nombre d’entreprises, d’équipes tech ou marketing, de comités de direction ou de management. Trop élitiste, trop prosélyte, trop idéaliste, trop déconnecté de la réalité du terrain… On reproche souvent au Product Discovery d’être une affaire d’experts, aux fonctionnalités obscures pour les non-initiés, aux méthodes et outils peu applicables en dehors de l’univers tech des startups.
2. Le risque : mille et une façons de le gérer
Est-ce à dire pour autant que le risque n’existe pas dans les autres entreprises ? Que ces acteurs ne sont pas outillés pour y faire face ? Pas vraiment. Quand on les interroge, les DSI comme les services marketing, client ou digital, des TPE-PME comme des grands groupes, affirment eux aussi tenir compte des risques et, après analyse, tenter d’en limiter l’impact. Et c’est bien normal. Comment, sinon, éviter l’échec commercial ?
La différence ? Ils emploient un autre vocabulaire. Chez eux, le Product Discovery désigne cette phase d’évaluation et d’analyse des risques lancée très en amont et, bien souvent, avant même le moindre développement. Elle fait partie de l’étude d’opportunité ou de celle de cadrage, mais cette étape s’étend rarement au-delà de la phase projet et encore moins jusqu’au delivery.
On reproche souvent au Product Discovery d’être une affaire d’experts
Or, si le risque zéro n’existe pas, il ne peut surtout jamais être complètement écarté. La prudence est de mise et toutes les hypothèses doivent être envisagées. Prenons, par exemple, la concurrence. Pensez-vous vraiment qu’elle se résignera à rester, bien sagement, dans l’ombre de votre produit ? Peu probable en effet. Ce qui hier a fait le succès de votre entreprise peut donc rapidement causer sa perte. Des besoins des utilisateurs aux technologies, en passant par les business models aux usages : aujourd’hui, tout évolue de plus en plus vite. Impossible donc de se fier trop longtemps aux mêmes hypothèses et informations, de ne pas se lancer dans la recherche de nouvelles solutions. Aussi, le Product Discovery recouvre-t-il un ensemble d’activités qu’il s’avère nécessaire de mener tout au long du cycle de vie du produit et non pas uniquement au moment de sa conception.
Le client a très souvent raison
En effet, même les meilleurs produits du monde, accompagnés du meilleur service clients, portés par le meilleur Product Manager et la meilleure analyse de données, n’échappent pas aux critiques. Et ce peu importe les efforts consentis par vos équipes ou la vision insufflée par le top management. De plus en plus avertis, les “consomm’acteurs” souhaitent désormais un parcours utilisateur et une expérience client sans aucune fausse note. En un clic de souris, ils peuvent passer à la concurrence, devenir vos meilleurs ambassadeurs… ou vos plus gros détracteurs. Un problème ? Pas vraiment si on apprend, comme Bill Gates, à “aimer les clients insatisfaits” ! Un principe qui marche ne serait-ce que parce qu’il invite à se placer dans une position d’écoute et d’empathie. Une vision qui incite surtout à changer de démarche, à repenser les méthodes de développement de produits.
Le conseil de Bill Gates : “Aimer les clients insatisfaits !”
Car, l’époque de la vente de produits de masse est bel et bien révolue. Place désormais à l’hypersonnalisation. L’enjeu ? Non pas concevoir un produit unique par individu, mais considérer les utilisateurs comme des membres à part entière du projet. Bien sûr, tout ce que dit cette partie prenante pour le moins singulière ne doit pas être pris au pied de la lettre. Les données et les informations transmises par les utilisateurs doivent être soigneusement analysées.. Mais, il s’agit ensuite de les trier. En revanche, laisser à l’utilisateur le choix des options et des fonctionnalités, c’est s’assurer de livrer un produit qui répond à ses besoins, qui apporte une solution au problème qu’il rencontre et donc, en somme, qui marche. Or, n’est-ce pas finalement cela le plus important ?
Un produit d’équipe
Cet objectif de découvrir et concevoir le produit qui répondra aux besoins des utilisateurs et leur plaira, les startups américaines l’ont depuis toujours en ligne de mire. Mais nul besoin de traverser l’Atlantique pour trouver solutions et sources d’inspiration . Plus proches de nous ? Les licornes françaises qui se prennent pour Tiger Woods… Comme le champion de golf, le management de ces entreprises incite, en effet, les équipes à tirer la première balle dans ce qu’elles estiment être la bonne direction, puis à avancer de proche en proche pour parfaire le produit, en fonction du parcours et des retours des premiers utilisateurs. Surprenante, la métaphore du golf présente l’avantage de démystifier le Product Discovery. Mieux : elle suggère que c’est avant tout un état d’esprit transposable dans n’importe quel contexte.
Un état d’esprit transposable dans n’importe quel contexte
Prenons, par exemple, les développeurs d’une entreprise de location de voitures. Ce n’est qu’après avoir passé plusieurs matinées en agence qu’ils se sont rendus compte de la difficulté de gérer conjointement face-à-face avec un client et système informatique complexe… Une inversion des rôles, une expérience, qui les a conduits à revoir leurs hypothèses de départ et à concevoir une interface, certes basique, mais beaucoup plus pratique. S’intéresser aux utilisateurs n’est donc l’affaire ni des seules startups ni des seuls départements marketing.
La solution ? Elles sont multiples. En revanche, le Product Discovery n’est pas une option. Il doit bien plutôt s’ancrer de manière pérenne et continue dans le développement et la conception des produits. Bien sûr, casser les silos entre la DSI, les équipes tech et le département marketing constitue une expérience plus difficile à appréhender dans de grands groupes. Mais, dans l’idéal, il devrait faire partie des objectifs de la DSI et mobiliser une équipe pluridisciplinaire. Ce mélange des genres et des compétences ne signera en aucun cas l’arrêt de mort de la DSI. Bien au contraire ! Encore trop souvent considérée comme un centre de coûts internes, elle pourrait pleinement jouer sa partition dans l’époque de transformation digitale que nous vivons.
Une découverte ? Non, une révélation !