Pour en finir avec l’inefficacité des réunions de travail, il faut en finir avec un des éléments qui l’a engendrée, à savoir les comportements nocifs de ses participants. Par comportement nocif nous entendons toute démarche, volontaire au non, visant à imposer une idée, à rabaisser celle des autres, à chercher des coupables, à ralentir le processus de prise de décision, bref, toute démarche visant à saboter la raison d’être d’une rencontre collective.
C’est uniquement lorsque chacun se sent en sécurité psychologique que le groupe donne le meilleur de lui même. Cela nécessite d’instaurer un environnement respectueux puis d’agir en conséquence lorsque son équilibre est menacé.
Poser un cadre
Les participants agissent sous l’influence de l’animateur et de l’environnement qu’il porte. Dans l’édifice d’une réunion engageante, les conditions et règles de succès doivent être rendues visibles dès les premiers instants par le facilitateur. Cette démonstration est matérialisée à la fois par la posture adaptée de celui ou celle animant la rencontre, par une présentation claire des objectifs et attentes ainsi que par l’énoncé des principes de vie commune.
Afin de limiter tout débordement, Alain Cardon, auteur et coach systémique, préconise le respect de plusieurs règles dont les suivantes :
- Quand vous prenez la parole, adressez-vous à tous les membres de l’équipe.
- Allez au fait avec des mots simples.
- Soyez précis et, si quelqu’un ne l’est pas, félicitez le d’avoir réussi à vous perdre et demandez lui de reformuler.
- Si vous n’avez pas compris, demandez des éclaircissements.
- Si vous ne savez plus où vous en êtes, dites le.
- Si vous vous ennuyez, dites le.
- Si quelqu’un vous contredit, ne vous précipitez pas pour répondre.
- Ne vous justifiez pas (c’est souvent exaspérant).
- Ne monopolisez pas la parole.
- Soutenez les bonnes idées des autres : “Génial !”.
Le facilitateur, en amorçant la réunion, doit également avoir en tête ces préalables au bon déroulé de la rencontre :
- Difficile de communiquer si les chaises sont placées comme dans une salle de classe ou au format rectangulaire. Les dispositions éclatées, en cercle, en V ou en U, favorisent le dialogue et sont à privilégier.
- Difficile de communiquer si la réunion est vécue par les participants comme une course effrénée vers l’atteinte des objectifs. Charge à l’animateur d’accorder du temps au dialogue et de poser des questions : Qu’en pensez-vous ? Qu’en dites-vous ? Qu’est-ce qui vous contrarie dans cette proposition ? …
- Difficile de communiquer efficacement si les participants ne savent pas comment faire. Charge à l’animateur de donner des exemples et d’expliquer tout au long de la réunion.
Responsabiliser les participants
Les comportements nocifs en réunion sont souvent l’expression d’un désengagement. Pour les prévenir, l’une des clés est d’impliquer chaque participant dans l’animation de la rencontre en les conviant à interpréter des rôles complémentaires. En combinant les travaux d’Alain Cardon et du psychosociologue Meredith Belbin, 6 rôles apparaissent indispensables à la réussite d’une rencontre :
- Le cadenceur : il s’assure que le programme et les délais sont respectés.
- Le scribe : il aide à la prise de décision, à transformer les idées en actions concrètes et note les actions.
- Le promoteur : il évalue avec précision le réalisme et l’utilité des idées proposées, il fournit des connaissances approfondies sur les sujets évoqués.
- Le garde-fou : il a le souci du respect des règles fixées en début de la réunion et s’engage à intervenir face à un comportement nocif.
- L’observateur : attentif aux autres et diplomate, il s’assure que tout le monde participe, que de nouvelles idées émergent régulièrement et il implique les membres appropriés.
- Le coordinateur : il veille à la qualité des interactions, à l’énergie de la rencontre et au fait que les participants restent focalisés sur leurs objectifs.
Quelques éléments à prendre en compte :
- Jouer un rôle n’empêche pas de participer.
- Un même participant peut endosser plusieurs rôles. Un participant peut ne jouer aucun rôle.
- Un même rôle peut être joué par des personnes différentes au fur et à mesure du déroulé de la réunion.
- Si les participants sont séparés en plusieurs groupes, les mêmes rôles sont à jouer dans chacun des groupes.
- Les rôles sont tournants : ce ne sont pas les mêmes personnes qui prennent ces rôles à chaque réunion.
- Le facilitateur invite les participants à endosser un rôle, il ne l’impose pas.
Jouer avec les différentes personnalités du groupe
S’assurer qu’il n’y ait pas de débordement durant l’atelier c’est aussi, pour l’animateur, prendre conscience des différentes personnalités au sein d’un groupe et comprendre comment réagir face à elles. Jacques Antoine Malarewicz, dans son livre Systémique et entreprise, liste 4 rôles que des individus peuvent jouer au sein d’un groupe :
- Le bouc émissaire : Il dit tout haut, parfois très fort et parfois sur le ton de la provocation, ce que chacun pense tout bas. L’animateur écoute mais ne suit pas forcément ce qui est dit. Il fait en sorte que le bouc émissaire ne devienne pas le centre d’attention de l’atelier.
- Le séducteur : Il flatte l’animateur, cherche une alliance. Charge à l’animateur de montrer qu’il n’est pas dupe, en disant par exemple : “Je suis neutre, inutile de me flatter.”
- L’anti-conflictuant : Il cherche à tout prix à éviter les conflits pouvant éclater au sein du groupe. L’animateur s’assure de rester maître de la gestion d’éventuels conflits car ceux-ci peuvent être utiles. Cela peut-être réalisé notamment en questionnant des personnes ayant des avis différents voire opposés.
- Le leader : Il est la référence du groupe. L’animateur en fait son allié, tient compte de son avis sans pour autant créer une dépendance.
Banaliser l’échec
S’il est moqué, s’il est caché, l’échec devient tabou. Cet évitement crée une situation où toute idée, toute proposition, toute innovation est écartée par crainte du risque, par peur de la défaillance.
S’il est puni, l’échec devient paralysant. Pour paraphraser le philosophe Friedrich Nietzsche : partout où l’on cherche des coupables, c’est généralement l’instinct de juger qui est à l’œuvre.
En banalisant l’échec, toute émotion négative lui étant liée est balayée. Il devient alors une partie intégrante du quotidien et peut être envisagé comme un déclencheur de l’apprentissage ou encore comme une dynamique questionnant les contours de ses pensées et actions passées.
En réunion, le participant faisant figure d’autorité partage ses échecs. Il se montre vulnérable, témoigne de sa confiance envers les autres et explique indirectement qu’il n’y a pas de bonnes ou mauvaises idées mais uniquement des occasions d’apprendre.
“Faire preuve d’auto-compassion, c’est se manifester de l’indulgence et de la compréhension lorsqu’on analyse les raisons d’un échec. En se considérant avec bienveillance et en s’offrant un réconfort inconditionnel, on évite de tomber dans les schémas destructeurs de l’auto-flagellation et de l’autocritique. [ …]
Extrait du livre Gérer l’échec et ses conséquences émotionnelles de Nathalie Sarrouy-Watkins
L’auto-compassion est un amplificateur de l’apprentissage.”
Se comprendre, s’aider
Communiquer est, par définition, la transmission d’un savoir, d’une information entre deux entités. Y parvenir nécessite de la part du récepteur la création d’un espace où l’émetteur, n’étant ni poussé ni pressé, approfondit sa pensée et se centre sur lui-même, sans crainte d’être coupé. Le silence est le présupposé de la compréhension de l’autre.
Communiquer sert, notamment, au partage d’une opinion. Y parvenir nécessite de la part de l’émetteur la prise en compte du fait qu’elle n’est, en rien, une vérité, tout juste une perception. Ce que nous exprimons n’est au final qu’une interprétation, une déduction, une généralisation de données sensorielles passées sous le crible de nos valeurs et expériences passées. L’humilité est ce qui distingue l’invitation de l’imposition.
Communiquer nécessite l’accueil et le don sans jugement. La finalité n’est pas de diriger mais d’inclure. Le but n’est pas d’évaluer mais d’accompagner.
Ces distinctions et définitions sont à intégrer dans toute formulation d’avis ou dans tout réponse à une demande d’aide, de retour évoquée lors de la rencontre. Ainsi, les auteurs Marcus Buckingham et Ashley Goodall, au sein de leur article The Feedback Fallacy préconisent les formulations indiquées dans le tableau ci-dessous.
L’auteur et coach Kyle Benson, afin d’éviter les conflits, invite les personnes à exprimer leurs doléances sous forme de souhaits :
Incarner le comportement attendu
Montrer par une posture adaptée. Rester attentif aux signaux verbaux et non verbaux des participants. Comprendre la carte du monde de l’autre. Accorder du temps à chacun. Accepter la contradiction. Saisir les intentions cachées. Calmement, respectueusement, sans juger, sans couper la parole, en reformulant au besoin, l’animateur s’implique émotionnellement, intellectuellement et physiquement. Il est présent. Il est l’exemple à suivre pour les participants. Il adapte ses questions au moment en évitant la tentation du “Pourquoi ?”. Celui-ci est, trop souvent, une pente où glissent tentatives de justification et autres quêtes désespérées d’une cause racine à un problème aux multiples inconnus.
Les auteurs et coachs systémiques Jacques Antoine Malarewicz, Alain Cardon et Paul Devaux, à travers leurs différents travaux, proposent de remplacer la question du “Pourquoi ?” par les formulations suivantes :
Réagir face aux comportements nocifs
Comportement nocif #1 : camper sur ses positions
Imaginons que deux participants défendent avec insistance leurs points de vue opposés. Le reste du groupe demeure passif, la discussion dure depuis plusieurs minutes. Pour casser cette dynamique, l’animateur ou un participant invite une troisième ou une quatrième personne à participer à l’interaction :
“Qu’en penses-tu ? Quel est ton avis ? Quelle est ton opinion ?”
L’animateur ou tout autre participant peut également partager un point de vue différent sur le sujet défendu, indiquant ainsi l’existence d’une autre façon d’aborder le problème. Attention toutefois à ne pas prendre à coeur de défendre l’idée et ce afin d’éviter la création d’une nouvelle polarité.
Comportement nocif #2 : être bruyant
Si un participant parle avec une personne située à ses côtés et que le bruit généré empêche le bon déroulé de l’atelier, l’animateur peut se positionner en silence, debout, juste derrière le fauteur de troubles. Cela est généralement suffisant pour que la discussion s’arrête. Si elle reprend de plus belle, l’animateur ou tout autre participant peut agir de différentes façons :
- En posant une question au bavard (“Que souhaites-tu nous partager comme informations ?”) ;
- En partageant, avec respect, son ressenti (“Je remarque que vous discutez avec votre voisin depuis 5 minutes alors qu’une autre personne est en train de s’exprimer, je ne suis pas à l’aise avec cette situation car il me paraît important d’être à l’écoute de chacun pour que l’atelier soit efficace. Pouvez-vous attendre qu’une personne ait fini de parler avant de prendre la parole ?”) ;
- En se mettant en évidence, debout, silencieux, un bras levé jusqu’à ce que les participants remarquent ce changement de comportement, se demandent ce qu’il se passe et que le calme revienne.
Comportement nocif #3 : persister dans le sabotage de la réunion
Malgré les tentatives et actions répétées de ses collègues, un participant continue, consciemment ou non, à nuire à la réussite de l’atelier. L’animateur demande alors à la personne de quitter la rencontre tout en lui partageant la raison de cette décision. Cette explication peut s’inspirer de la Communication Non Violente inventée par le psychologue américain Marshall Rosenberg et dont la démarche consiste à
- Décrire la situation sans juger;
- Exprimer les sentiments et attitudes suscités en employant le “je”;
- Identifier et exprimer les besoins;
- Faire une demande réalisable, concrète, précise et formulée positivement.
Comportement nocif #4 : imposer ses idées
Volontairement ou non, un participant faisant figure d’autorité, s’il parle en premier, va grandement influencer le reste du groupe. En réunion, un manager, un dirigeant, un leader d’opinion, doit donc apprendre à se taire. Si tel n’est pas le cas, charge à l’animateur d’exprimer une opinion contraire, même si elle n’est pas la sienne, afin de montrer que la contradiction est possible, puis d’inviter les autres participants à partager leur avis.
Comportement nocif #5 : avoir des propos ou des gestes déplacés
Par peur du conflit, par manque d’assurance ou par craintes des conséquences, le premier réflexe peut être de se taire. Seulement, face à une telle situation, le silence n’est pas une position neutre mais une acceptation. La tolérance zéro est de mise face à des mots, attitudes ou gestes vexants, blessants voire offensants. Charge à l’animateur ou aux participants d’arrêter la réunion immédiatement et d’en référer aux personnes compétentes.
Conclusion
En créant un environnement défavorable aux comportements nocifs et en agissant rapidement lorsque confronté à eux, la réunion devient un lieu préservé au service de l’effort de groupe, un outil bienveillant d’aide à la prise de décision. Pour y parvenir, charge au collectif d’expérimenter de nouvelles postures ou rôles et à l’animateur de les inspirer.
« Quand nous ne nous sentons pas en sécurité, nous gâchons une grande part de notre énergie à tenter de protéger notre identité au travail. »
Patricia Riddell, Professeure à l’Université de Reading.
Certains éléments de cet article sont extraits du chapitre 3 du livre Manuel de survie en animation d’ateliers.
Vous voulez aller plus loin concernant les réunions et leur préparation/facilitation, lisez ces article :
https://weblog.wemanity.com/vos-reunions-naboutissent-a-rien-que-faire-1-2-les-outils/
https://weblog.wemanity.com/vos-reunions-naboutissent-a-rien-que-faire-2-2-le-contenu/