Le jeu prend racine dans le monde du travail. Deux experts de Wemanity, François Lecomte et Yohan Bouffandeau racontent comment, et pourquoi. “Motivante”, “libératrice”, “engageante”, “sympathique”, et bien plus encore, la ludification offre de nombreux atouts aux entreprises. Pour former les salariés, motiver une équipe, ou pour souder une “scrum team” et améliorer les résultats, il n’y a pas mieux que le jeu !
Imaginez deux gaillards, barbe de trois jours, trentenaires, casquette sur la tête et Stan Smith aux pieds s’échangeant quelques balles au milieu de l’open space. Rapidement, les smashs claquent. Les rires fusent, la petite balle blanche roule jusque sous une chaise, sans décrocher la moindre réaction, à peine un regard curieux, au placide collègue assis dessus. La scène ne surprend plus depuis longtemps. Quand ce n’est pas au ping-pong que les comptes se règlent, c’est au baby-foot. D’après François Lecomte, Coach Technique et spécialiste de la ludification chez Wemanity, « Le jeu, ou plutôt les jeux, font partie intégrante du monde du travail d’aujourd’hui ».
1. Le jeu : mode ou révolution managériale ?
Mais il y a plus. A l’heure du nouveau management – « flat », flexible, Agile – le jeu a fait son entrée dans le monde du travail, suivant en cela l’évolution des loisirs, des pratiques privées et des communications. Après tout, le travail est une composante de la société. A l’heure où le divertissement est devenu roi, où les jeux vidéo sont à portée de téléphone, où l’espace urbain se transforme en jeu de rôle grandeur nature pour éleveur de Pokémon… le bureau allait nécessairement suivre la tendance.
Mais précisément, s’agit-il d’une tendance, d’un signe des temps, d’un effet de mode porté par des trentenaires “adolescents”, ou bien, derrière ce qui n’est encore qu’une nouveauté, se cache une véritable révolution ? Une révolution managériale ?
Le lieu de travail étant devenu l’endroit où les actifs passent la très grande majorité de leur temps éveillé, la nécessité de le rendre accueillant, confortable et sûr s’est imposée. Ce qui s’est traduit par la création de nouveaux espaces dans les bureaux et de nouveaux temps de détente. La console de jeu devenant la version 3.0 de la machine à café. Selon François Lecomte : « Le jeu est un moyen facile d’évacuer le stress. Autour d’une partie de babyfoot ou de ping-pong, pris par le démon du jeu, les soucis peuvent s’oublier. Mais cela va bien plus loin, le jeu permet également de catalyser les énergies, et permettre de trouver des solutions opérationnelles, libérer la créativité ou bien développer la collaboration».
2. « Je n’envisage pas la formation sans jeu »
Pour Yohan Bouffandeau, Coach Agile chez Wemanity, et spécialiste de la ludification, le jeu est avant tout un « motivateur ». La motivation, étant une valeur fragile et précieuse. « Il est difficile de motiver une équipe, alors qu’il est malheureusement très facile de la démotiver », explique-t-il. « Le jeu parvient à aller chercher en nous des ressources insoupçonnées. Nous avons tous joué enfants, et puis, en grandissant, nous avons cessé de jouer. Nous sommes le seul mammifère à ne pas mettre le jeu au cœur de notre société ! Regardez les vaches, les chats… »
Selon Yohan, qui intervient auprès de clients institutionnels, comme des grands groupes industriels, le jeu est central dans son activité. « Je n’envisage pas la formation sans jeu », assène-t-il calmement.
Un exemple ? « Systématiquement, quand je dirige des “scrums”, je propose un jeu étonnant. Nous avons 45 minutes pour organiser l’anniversaire d’un enfant de 5 ans. J’ai prévu des feutres, des bonbons, des ballons… » L’activité se déroule en 3 sprints d’un quart d’heure chacun, dont les thèmes sont choisis par l’équipe. « Le côté régressif est assumé, cette activité détend tout le monde, elle s’adresse à la part d’enfant en nous ». Mais le but, lui, est bien adulte. « Avec cette activité, nous reprenons toutes les étapes et les rituels du sprint, mais en 45 minutes au lieu de 2 semaines, du plan à la sprint review. »
3. Vaincre les résistances
La plupart des salariés n’ont plus joué depuis des années, parfois des décennies. Le jeu nécessite un abandon de son rôle social, et ce n’est pas toujours facile. « Dans ces cas-là, j’ai quelques stratégies » explique Yohan Bouffandeau. « Je parle plutôt d’ateliers que de jeux, par exemple, lors de la première séance. Lors de la seconde, je parle d’un « petit jeu », et à la troisième, la nature ludique de l’exercice est assumée. »
Il arrive malheureusement que ces ruses de Sioux ne fonctionnent pas.
« Un collègue était en intervention dans une grande banque d’affaire, à la réputation sérieuse », raconte Yohan. « Et il voyait bien que ces banquiers n’adhéraient pas aux jeux. Certains sont même allés se plaindre à leur manager, qui lui a alors commandé le double des séances de ludification prévues ! ». Fort heureusement, la plupart du temps, les salariés adhèrent. « De toute façon, nous commençons souvent par des “icebreakers”, des petits jeux qui libèrent les participants, et qui permettent de mieux se connaître. Personne n’est obligé de participer, mais presque tous le font. » Le “3-2-1 GO” est un excellent exemple, inspiré du “Jacques a dit”. Une bonne occasion de se détendre, mais aussi de commencer une discussion sur l’effet de groupe ou le leadership.
4. Les serious games : travailler autrement
La ludification permet de travailler autrement, c’est ce qu’on appelle les « Serious Games ». Un concept antinomique, mais porteur. Le jeu permet ici d’adopter un point de vue, un angle différent et souvent inattendu sur un travail. L’un des jeux les plus connus est sans doute celui du « speed boat ».
« J’aime bien ce jeu, car s’il n’est pas tellement différent des jeux de société, il est une métaphore d’un projet », explique Yohan. Ainsi, on détermine un but : une île, qu’il faut atteindre. Cette île peut-être un objectif de ventes pour une équipe commerciale, une présentation réussie, un évènement à organiser, etc. Pour atteindre cette île, l’équipe dispose d’un bateau : c’est le cadre de l’équipe, qui en est l’équipage. Un équipage qui doit repérer et anticiper des obstacles (salles non disponibles, clients non intéressés…), symbolisés par un récif fourbe. Mais aussi des freins, symbolisé par une ancre, des vents contraires, et des vents favorables (compétence de l’équipe, force de travail, bonne réputation de l’entreprise etc.). « Le jeu est largement modulable. Il permet d’avoir une image globale d’une situation, de déterminer les forces et les faiblesses collectives d’un groupe, mais aussi de créer un sentiment d’appartenance. » Une équipe devenant, avec un peu d’imagination, un équipage bravant les mers sur un frêle esquif, ou un puissant galion…
Mais si la ludification tire parti du jeu, elle ne doit pas être considérée avec légèreté. La notion d’éthique est ici fondamentale. Pas question de monter les employés les uns contre les autres, comme ce responsable d’un supermarché américain, qui n’a rien trouvé de mieux que d’instaurer une compétition malsaine entre ses caissières.
5. Susciter l’adhésion
Alors, quelle est la recette d’une ludification réussie ? « D’abord, le plus important est d’expliquer la démarche, afin de faire adhérer les participants. Celle-ci doit donc être simple, facile à comprendre, et afficher des objectifs clairs. L’animateur doit expliquer en amont dans quel but le jeu est utilisé » explique François Lecomte. « Il faut absolument éviter le jeu pour le jeu. Dès le début, les règles et l’objectif doivent être expliqués et compris », ajoute Yohan Bouffandeau.
Ensuite, il est essentiel de proposer aux salariés un jeu de bonne tenue, tant dans ses aspects graphiques que scénaristiques ou mécaniques – un peu comme dans les logiciels d’entreprise, une mauvaise qualité graphique est contre-productive à l’heure où la moindre app mobile s’échine avant tout à soigner “l’expérience utilisateur”. Lorsque l’utilisateur considère le jeu trop complexe, mal conçu ou peu ergonomique, il n’y participe tout simplement pas.
Enfin, il convient à tout prix d’éviter le phénomène du « jeu de brimade », qui consiste à stigmatiser une catégorie de participants. Que le meilleur gagne, certes, mais que les autres ne perdent pas ! Pour Yohan Bouffandeau, « tout l’art est de trouver une gratification qui ne détruise pas la cohésion d’une équipe ». « Les récompenses pécuniaires, par exemple, sont rarement les mieux adaptées » ajoute François Lecomte.
En fin de compte, si la ludification est peut-être un signe des temps, elle est grandement facilitée par la numérisation des données du travail. Mais les avancées technologiques qui favorisent l’appropriation du jeu ne doivent pas faire oublier l’essentiel : pour François Lecomte, « le jeu, tout comme le travail, trouve avant tout dans ses ressorts des attributs humains – comme les émotions. » C’est donc l’aspect humain qui sera central dans cette méthode. Un jeu bien expliqué par un manager bien intentionné aura toujours de meilleurs résultats.
Vous avez les bases, à vous de jouer !
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