Si le digital est devenu incontournable, toutes les organisations ne disposent pas forcément de ressources internes suffisantes pour développer leurs solutions dans un délai restreint. Dans ce cas, les directions doivent alors compter sur l’intervention de prestataires capables de délivrer la valeur attendue clé en main. Elles se trouvent alors confrontées à une même problématique : comment gérer les risques tout en bénéficiant d’une approche agile ? Faisons le point sur le forfait agile, une méthode de contractualisation hybride pour concilier engagement de résultat, respect des délais et flexibilité.
1. En quoi consiste le forfait agile ?
Le forfait agile se développe depuis plus d’une dizaine d’années, pour éviter les inconvénients rencontrés avec les modes de contractualisation plus traditionnels. Cette formule combine ainsi le meilleur des deux mondes.
Forfait et agilité, deux notions antinomiques
Le forfait se présente comme un mode de contractualisation dans lequel tous les éléments sont « verrouillés ».
- Le cahier des charges fixe le périmètre fonctionnel, c’est-à-dire l’étendue des fonctionnalités devant être livrées.
- Le contrat impartit un délai pour atteindre le résultat attendu.
- Le coût est fixe et défini à l’avance.
Si ce modèle peut sembler rassurant, le forfait n’est pas adapté à la gestion de projet agile, dans laquelle la notion de garantie de résultat n’existe pas. Les équipes agiles, quelle que soit la méthodologie utilisée (Scrum, Squads…) ne s’engagent pas à atteindre un résultat parfaitement défini à l’issue du délai imparti, mais simplement à délivrer un nombre de fonctionnalités (autrement dit une certaine quantité de produit) à chaque sprint.
Le mode de fonctionnement est donc radicalement opposé. Dans le cadre d’un forfait, le prestataire subit une pression financière et recourt en général à la méthodologie dite du cycle en V, connue pour être un mode de gestion linéaire qui supporte mal le changement. En agilité pure, le prestataire itère sur des cycles courts (sprints), avec la possibilité de s’adapter aux changements qui surviennent (évolution des besoins des utilisateurs par exemple).
Le forfait agile, une solution née des dérapages
Avant le développement du forfait agile, les méthodes traditionnelles de contractualisation généraient un certain nombre d’inconvénients. D’un côté, la régie, qui repose sur une facturation au temps passé, inquiétait les organisations, en raison de l’absence de visibilité sur le coût final.
De l’autre, le forfait pur a démontré ses limites. En effet, dans ce modèle, le commanditaire et le prestataire ne créent pas de vraies relations, avec très souvent des difficultés tenant à la rédaction puis à l’interprétation du cahier des charges. Résultat ? En matière de développement de plateformes, d’applications ou de sites web, le contrat au forfait mène parfois à la catastrophe :
- épuisement des équipes du prestataire, qui doivent produire un travail important au démarrage pour faire face aux « trous » fonctionnels et de gestion du cahier des charges;
- difficultés de suivi pour les équipes interne;
- dérive au niveau des délais, avec le risque élevé d’avoir un produit qui ne répond pas ou plus aux attentes du marché ou un surcoût masqué.
Le forfait agile est donc né de ces constats et répond à une tout autre philosophie.
Le contrat agile est un contrat de confiance
Contrairement au forfait traditionnel, le forfait agile ne repose pas sur un engagement de résultat précis, mais sur un engagement à collaborer et à faire de son mieux pour maximiser la valeur. Il est donc bâti sur la notion de confiance, qui est une valeur clé de l’agilité.
Sans surprise, cette philosophie impacte la relation de travail. Il ne s’agit plus pour l’organisation de déléguer le projet, mais bel et bien de le co-construire avec le prestataire.
Ce modèle hybride a ainsi l’avantage d’aboutir à un équilibre dans la relation contractuelle, puisque le risque financier est supporté par les deux parties. Il offre également des garanties pour l’organisation. Bien pensé, le forfait agile lui donne en effet la certitude qu’elle obtiendra une première version du produit fiable et alignée sur ses objectifs business, le tout dans le respect des délais et du budget.
2. La valeur comme critère pertinent dans un forfait agile
Dans le forfait agile, l’engagement peut prendre différentes formes. Si l’engagement à la productivité ou à la qualité présente un intérêt discutable, l’engagement du prestataire sur la valeur délivrée offre un vrai avantage business.
Les inconvénients de l’engagement à la productivité
Lorsqu’une équipe agile s’engage sur le critère de la productivité, elle définit un nombre de « points de complexité » à atteindre à la fin de chaque sprint, en fixant seule le nombre de points accordé par fonctionnalité. Par exemple, s’agissant du développement d’une fonctionnalité d’impression, elle attribuera 20 points pour l’impression en PDF, 15 points pour l’impression en Word, 10 points pour l’impression en Excel etc. À la fin de chaque sprint, elle comptabilise les points de complexité pour savoir si l’objectif est atteint ou non, ce calcul générant une sorte de « bonus » ou de « malus ».
Pour notre part, nous pensons que la vélocité (nombre de points qu’une équipe doit effectuer sur un sprint) doit avant tout rester un outil interne permettant à l’équipe agile d’avoir de la visibilité sur sa progression. Il est en effet risqué pour l’organisation d’en faire un outil de contrôle : parce que vous ne participez pas à la mise en place du système de points, vous vous exposez au risque que le prestataire gonfle artificiellement le nombre de points et ne vous donne pas réellement la vue sur l’atteinte des objectifs.
Attention aux engagements sur la qualité !
Autre variante, l’engagement à la qualité repose sur la capacité des fonctionnalités à passer une batterie de tests censés attester de leur « qualité ». Si cette option est parfois adaptée à des projets très techniques suivis par des DSI, elle pose quant à elle un nouveau souci : même en passant tous les tests, une fonctionnalité peut ne pas être adaptée aux besoins de l’utilisateur !
Autrement dit, l’engagement à la qualité pose question en ce qui concerne les exigences non fonctionnelles, que ce soit en termes de robustesse, de sécurité, de performance ou encore de qualité intrinsèque. Il présente ainsi le risque de générer de la déception chez l’utilisateur et de ne pas produire les résultats business escomptés.
Les avantages de l’engagement sur la valeur
Dans le cadre de cet engagement, seule la valeur délivrée à l’utilisateur compte. Concrètement, la méthodologie consiste à mettre en place une échelle de valeur relative, en raisonnant en termes de « valeur utilisateur » et de « valeur business » pour chaque fonctionnalité. Cela permet de prioriser la sortie des fonctionnalités de façon pertinente, puis de s’assurer qu’on atteint les objectifs avec la méthode OKR par exemple.
Pour illustrer le propos, reprenons l’hypothèse de la création d’une fonctionnalité d’impression et imaginons que nous constations que 90% des utilisateurs impriment en PDF, 10% en Word et aucun en png. Dans ce cas, l’engagement à la valeur dictera de se concentrer au démarrage sur le format PDF, qui est le plus important à la fois pour les utilisateurs et le business. La fonctionnalité « impression en excel » pourra donc être abandonnée (car sans valeur ajoutée), quitte à la remplacer par une autre fonctionnalité (une fonctionnalité « dupliquer » par exemple) PDF si cela apparaît pertinent.
En étant utilisé ainsi, le forfait agile répond à de nombreux enjeux.
- La livraison (delivery) : vous avez la certitude que des groupes de fonctionnalités (ou parties de produit) vous sont livrés de façon régulière, à la fin de chaque sprint. Au final, c’est l’assurance d’obtenir à la fin du temps imparti un MVP (Minimum Viable Product), c’est-à-dire une première version « qui tient la route ».
- La visibilité temporelle : vous suivez la progression de l’équipe et avez la vue sur le nombre d’itérations faites.
- La visibilité financière : vous savez combien de temps vous avez consommé et connaissez le RAF (restant à faire), tout en étant en capacité d’établir une corrélation avec la valeur délivrée. Cela permet notamment de stopper le travail sur une fonctionnalité lorsque le retour sur investissement n’est pas au rendez-vous.
3. Comment bien utiliser le forfait agile ?
Comme vous l’aurez compris, privilégiez l’engagement de vos prestataires sur la valeur délivrée ! Pour bien fonctionner, le forfait agile implique par ailleurs d’adhérer aux valeurs de l’agilité mais aussi de prendre quelques précautions avant de vous engager. Voici quelques conseils.
Définissez vos exigences dans les grandes lignes
S’il n’est pas question dans le cadre d’un forfait agile de rédiger un cahier des charges précis et contraignant, il convient toutefois que vous définissiez en amont vos exigences dans les grandes lignes, comme la cible utilisateur, le service rendu, les valeurs attendues, les OKR, les performances et/ou la volumétrie. À titre d’exemple, sachez renseigner l’équipe agile sur le trafic prévisible lorsque vous projetez de développer une plateforme ou un site web. Si cette donnée n’est pas connue et si le trafic s’avère bien supérieur à ce que la plateforme peut supporter, celle-ci risque en effet de s’écrouler…
Anticipez et réalisez les tâches qui vous incombent
Le forfait agile implique un travail d’équipe, mettant en scène plusieurs métiers. Si vous pouvez compter sur le prestataire pour gérer au mieux le développement des fonctionnalités, vous devez en revanche consacrer du temps à un certain nombre de tâches. Voici quelques exemples.
- Allouer une ou plusieurs ressources aux projets, pour que le prestataire puisse avoir un interlocuteur, que ce soit en réunion, pour entretenir la collaboration et travailler la stratégie produit. . Celui-ci aura notamment besoin de vous présenter régulièrement son travail pour avoir vos retours donc vérifiez quel temps de présence est prévu dans le contrat !
- Mettre en place et entretenir la collaboration avec les autres services concernés (par exemple : avec la DSI).
- Effectuer tout le travail relevant de l’UX et de l’UI, en réfléchissant sur la construction de parcours fluides et en définissant le plus en amont possible les éléments structurants.
Vérifiez le niveau de maturité de l’équipe agile
En retenant une équipe agile qui connaît déjà vos sujets, vous mettez toutes les chances de votre côté pour que celle-ci puisse vous conseiller et vous alerter, grâce à son expérience sur des projets similaires. D’un point de vue technique, une équipe senior saura aussi identifier facilement les solutions techniques à assembler. Cela lui laissera donc davantage de temps pour se concentrer sur son métier et vous apporter le plus de valeur possible dans le cadre de son accompagnement. Pour vérifier la séniorité de l’équipe, n’hésitez pas :
- d’une part, à l’interroger sur sa compréhension de vos besoins. Vous devez en effet obtenir un alignement sur les objectifs et sur la notion de « valeur ».
- d’autre part, à échanger avec elle sur les composantes techniques qu’elle utilise habituellement.
En conclusion, le forfait agile est un bon compromis, auquel recourir en fonction de vos objectifs business. S’il n’est pas forcément adapté aux « petits » projets portant sur des produits éphémères ou pour des projets très techniques, il offre de nombreux avantages en ce qui concernent les projets digitaux complexes. Pour en savoir plus sur notre accompagnement pour les projets de ce type, nos experts seront ravis de vous conseiller !