Si la transformation agile séduit, ce n’est pas sans raison ! Source de nombreux bénéfices pour les entreprises et les collaborateurs lorsqu’elle est bien menée, son chemin est, comme pour toutes transformations de type digitale, organisationnelle ou métiers, long et complexe. D’autant plus que la voie de la transformation agile est hélas trop souvent entravée par quatre écueils typiques…
Pour mener à bien une transformation au sein des entreprises, qu’il s’agisse de la méthode Scrum ou d’une autre technique tournée vers l’agilité, nous faisons le point sur les pièges à éviter à tout prix lorsqu’une organisation conduit sa transformation agile. Ces derniers s’articulent tous autour d’une question clé : devenir agile, pour quoi faire ?
- Un manque d’ancrage stratégique et de vision, sur court et long terme
- Un ciblage inadapté ou incohérent
- Une stratégie basée sur les outils, pratiques et frameworks plutôt que sur la culture
- Déléguer sa transformation sans y impliquer le top management
1. Un manque d’ancrage stratégique et de vision, sur court et long terme
Finalement, la question à se poser est très simple : pourquoi s’engager dans une transformation tournée vers l’agilité ?
“Bien souvent, les clients ont des attentes trop élevées, s’imaginent que la transformation est une baguette magique qui résout d’un coup et une bonne fois pour toute l’ensemble des problèmes rencontrés par l’entreprise : les compétences, la politique, les délais…” rapporte Eric Ducasse, directeur de la Transformation Office à Wemanity France.
L’idée n’est pas d’initier une transformation agile car le dernier post LinkedIn de Google et Spotify le recommande. Il faut savoir pourquoi on lance une démarche de transformation agile au sein des différentes organisations. Il faut aussi définir l’objectif à atteindre grâce à la transformation, au choix :
- accélérer le time-to-market,
- fluidifier les délais de livraison pour les différents projets,
- fluidifier la transversalité entre les équipes,
- cibler efficacement les attentes des utilisateurs et des clients sur les produits et services développés
En fonction du projet et du problème à résoudre, qui devra être le point de départ de la réflexion, une feuille de route sera établie. La clé, c’est de ne pas confondre la fin et les moyens.
Le but n’est pas de devenir agile en soi. “Devenir agile, cela ne veut rien dire. La question, c’est pour quoi faire ?”, assure Greig Bannatyne, Co-country Leader et coach organisationnel à Wemanity aux Pays-Bas. En résumé, pour une meilleure gestion du projet de transformation, il faut poser le bon diagnostic avant d’agir et se poser la question suivante : de quoi mon entreprise a besoin pour un meilleur développement ? “Ce qu’il faut, c’est comprendre (ou apprendre) que les choses vont toujours changer, et comprendre que le principe de la transformation agile, c’est d’être à même de s’améliorer en permanence. Et que le boulot n’est jamais terminé. Il ne sera jamais possible de dire que le dossier est clôturé, que la case est cochée… », affirme le coach organisationnel.
Ce dernier évoque avec un sourire la réunion où un client l’informe qu’il veut “faire du DevOps” : une fois interrogé sur la finalité du projet, le décideur se retrouve dans l’incapacité de formuler une réponse claire. “La réunion ne s’est pas bien terminée”, s’amuse Greig. “Ce genre de situation est très commune. Certains clients considèrent que comme tout le monde le fait, ils doivent le faire aussi. Parfois, même les clients les plus aguerris au sujet, ayant réfléchi en amont et étant motivés par un réel besoin business peinent à articuler clairement leur besoin, à le coucher sur le papier et le résumer en deux phrases…”
Se lancer sans avoir d’objectifs clairs en tête lors du développement de divers projets est une erreur commune lors de la transformation agile. Il faut se poser les bonnes questions. Cela dégagera les points et les fonctionnalités nécessaires à la réalisation du produit final et aux changements à apporter aux process existants. La mise en avant de solutions, des principes de la transformation agile et des techniques de communication adéquates assurent la mise en place d’une innovation en matière de gestion des taches dans la société. Les enjeux de cette transition seront mieux appréhendés pour éviter les erreurs.
2. Un ciblage inadapté ou incohérent
Lors des projets de transition vers l’agilité, le ciblage, la définition du périmètre d’intervention (“scope”) est capitale. Et la meilleure solution pour les réussir au sein des entreprises est de ne pas avoir une idée préconçue en tête ! “Il ne faut pas essayer d’avoir toutes les réponses dès les balbutiements du processus, ni essayer de tout définir”, explique Greig.
De nombreux directeurs de transformation entendent rapidement définir le périmètre d’intervention, et ce dans un niveau de détails important, ce qui s’avère contre-productif : “C’est un temps de préparation et de réflexion gaspillé, car on ne dispose pas de suffisamment d’information à ce stade. De manière assez contre-intuitive, il faut que les décisions importantes soient prises le plus tard possible, après avoir récolté un maximum de données !”
Un avis partagé par Eric Ducasse, au vu de la (très) longue temporalité du processus. Entre le moment où l’intention stratégique est posée, le diagnostic établi et les premières actions lancées, il se passe parfois des années, d’autant plus dans un contexte de complexité croissante de l’organisation des entreprises… “Or, entre le moment où la transformation agile démarre et celui où elle se termine, le contexte aura évolué. Nous sommes dans une situation où le marché bouge vite, où la stratégie peut évoluer et où les feedbacks du terrain peuvent influer sur notre manière d’opérer avant la fin de la transformation.”
En d’autres termes : il faut avoir une idée de ce que vous souhaitez couvrir, tout en gardant en tête que le processus est un apprentissage duquel dépend le périmètre d’intervention. Il s’agit donc de définir en amont le scope le plus ample possible, puis de le laisser émerger plus précisément au fur et à mesure que la compréhension des enjeux grandit, au fil des découvertes. C’est un travail de longue haleine nécessitant une méthode efficace qui assurera la mise en place des changements réclamés par le développement des divers projets. “Je le dis à mes clients dès le premier workshop : nous allons nous écarter du plan initial, et ce sera une bonne chose. Pour réussir, il faut avoir le bon mindset, ce qui n’est pas évident pour tout le monde ”, souligne Greig Bannatyne.
3. Une stratégie basée sur les outils, pratiques et frameworks plutôt que sur la culture
Les outils et les méthodes, au même titre que les frameworks, c’est comme pour la transformation elle-même : ils sont là pour soutenir un projet, mais n’ont pas d’intérêt tels quels. Pour les aficionados de la transformation, le piège est de jeter son dévolu sur tel ou tel outil de manière (relativement) arbitraire, et ce en dépit du contexte qui doit dicter le choix. Choisir la méthode Scrum ou une autre technique d’agilité nécessite donc une analyse poussée.
La mise en place d’une transformation au sein des organisations ne doit pas entièrement dépendre des outils. Cette erreur est récurrente dans de nombreuses sociétés. Pour l’innovation d’un produit créé grâce aux méthodes agiles, un leader ne peut se focaliser uniquement sur les frameworks (Scrum, Kanban, DevOps…). Un sprint ou d’autres fonctionnalités des méthodes agiles sont certes utiles, mais ils ne représentent pas des solutions toutes faites.
Prenons le cas du framework SAFe qui permet d’instaurer rune communication adéquate, un langage commun et fluide à l’ensemble des équipes œuvrant sur le développement d’un produit et pouvant se déployer à différents niveaux en fonction des organisations. “Par manque de discernement ou par tropisme, les décideurs ont parfois tendance à vouloir opter pour la solution la plus complexe que propose ce framework, alors qu’on cherche en fait à choisir la solution la plus simple. Les gens ont la fâcheuse tendance d’abuser des outils, mais il faut se montrer pragmatique”, affirme Greig Bannatyne.
Faire la part belle aux outils au détriment de la culture aura d’autres conséquences néfastes, à savoir : empêcher la finesse d’action, la latitude, le fait de trouver un équilibre en local et d’y faire émerger les best practices.
Pour bien discerner les attentes et les éléments à mettre en place, un sprint journalier avec le Product Manager et les membres de l’équipe est vital. Le sprint est surtout utile pour les organisations ayant opté pour la méthode Kanban ou Scrum. L’implication du Product Manager et des différents acteurs permet de définir le travail de chacun et de mener à bien les changements nécessaires dans l’entreprise.
In fine, trop se focaliser sur les outils revient à occulter l’importance prépondérante du véritable levier du changement, à savoir la culture. Une entreprise mature, c’est-à-dire une entreprise dont la culture est aboutie, saura s’adapter en permanence et aura développé une capacité de résilience par rapport au marché, sans besoin de devoir lancer des plans de transformation agile.
4. Déléguer sa transformation sans y impliquer le top management
Parmi les erreurs pouvant survenir lors de la transition vers l’agilité, se reposer entièrement sur une direction de la transformation interne ou un cabinet de conseil externe est l’un des points qui revient constamment. Le choix d’un leader unique entrave l’action. Le rôle du top management est vital, et son manque d’implication est l’une des erreurs les plus fréquentes. Pour prévenir cet écueil, le top management doit activement soutenir la démarche et être responsabilisé de quatre valeurs permettant d’insuffler durablement le changement :
- Prendre les grandes décisions
- Donner les moyens nécessaires au déploiement de la transformation agile
- Soutenir le cadre tout au long du processus
- Incarner la culture cible
Afin de déployer la transformation agile à l’échelle, il faut amener le top management à guider la trajectoire, sans toutefois s’exprimer sur le comment. “Personne ne peut remettre en cause la cible”, souligne Eric Ducasse, “la vision appartient au dirigeant, pas le reste ! Il ne faut pas que les équipes aient l’impression d’être dépossédées des leviers.” Le reste dépend des équipes et de l’intelligence collective dégagée lors de réflexions avec les collaborateurs sur leur travail au quotidien, car ce sont eux qui possèdent la vision opérationnelle, tandis que le management devra les aider à activer les leviers à disposition.
L’un des moyens pour déployer la transformation à échelle est de miser sur les Objectives Key Results (OKR). La méthodologie va permettre de diffuser des objectifs aux équipes qui pourront alors s’en emparer et déterminer une feuille de route. Pour éviter les faux-pas, les équipes se doivent d’être pluridisciplinaires. Il ne s’agit pas de confier la transformation à chaque silo, mais de faire en sorte que les différents services (IT, RH, Marketing…) travaillent ensemble par le biais d’équipes transverses et cohérentes, toutes orientées vers un but spécifique.
En parallèle, l’autre enjeu réside dans la composition des équipes chargées de la transformation. Bien souvent, les collaborateurs sélectionnés en interne pour conduire l’opération sont des personnes ayant des vocations historiques éloignées de la transformation, à qui expertise et expérience feront défaut. Dans la majorité des cas, il s’agit de personnes ayant une expérience limitée en conseil et ayant vu peu d’environnements autres que l’entreprise à laquelle ils appartiennent.
En outre, ces personnes étant intégrées à la hiérarchie de l’entreprise, elles ne bénéficieront d’une autonomie que très relative. “Si la transformation est conduite par une équipe interne, il faut clarifier en amont et auprès de tous les collaborateurs le mandat de l’équipe pour la légitimer : quand ce n’est pas le cas, l’équipe chargée de la transformation peut-être perçue comme donneuse de leçon, pas à sa place…” Et parfois même illégitime, ce qui ne manquera pas de provoquer irritation et défiance ! En témoigne cette situation à laquelle Eric Ducasse assiste lors du CoDir de la filiale d’une banque française, où l’un des dirigeants intégré à l’équipe en charge de la transformation se verra rétorquer sèchement : “Il y a ceux qui font, et ceux qui expliquent comment faire à ceux qui font !”
S’il est important d’éviter ces pièges, un dernier conseil pourrait être de repenser la finalité de la transformation agile. Encore aujourd’hui, l’écrasante majorité des transformations est centrée sur la productivité et son aspect financier, plus intéressante sur le court terme, et rarement sur une vision plus long terme, à laquelle la dimension sociétale et l’expérience des clients et collaborateurs contribue. “La plupart du temps, les problématiques de RSE ne couvrent qu’une simple partie de la feuille de route. Cela découle à mon sens de la méconnaissance des apports, entre fidélisation des collaborateurs et rayonnement de l’image de marque. D’autant plus que les outils de mesure en entreprise ne sont pas adaptés à des horizons aussi lointains…”, déplore Eric Ducasse, convaincu de la corrélation entre éthique et apports financiers. Alors, faut-il faire le pari de la RSE et d’un capitalisme plus responsable en tant que prochain eldorado de la transformation ?