Comment les ressources humaines peuvent-elles faire émerger une meilleure expérience collaborateur en entreprise grâce à la culture du changement ? Par culture du changement, nous entendons toute culture qui permet de mieux s’adapter aux évolutions économiques et sociales qui frappent les organisations. Ces dernières doivent devenir plus agiles, non pas comme fin en soi, mais pour mieux répondre aux défis d’aujourd’hui et à se préparer à affronter les défis de demain. Pour cela, il faut passer par la transformation des ressources humaines (RH), fer de lance de la diffusion du changement. L’objectif : s’assurer qu’elles puissent sous-tendre et soutenir, voire mener, la culture afin de pérenniser l’épanouissement des collaborateurs et la performance de l’organisation.
Thibault Beuken, expert en transformations organisationnelles chez Wemanity, en mission au sein du siège d’une institution financière à Bruxelles dans le cadre de la transformation agile de leur département RH, nous livre son retour d’expérience.
Le département RH, pivot de la transformation
Une des questions au cœur de la problématique RH actuelle est : comment transformer la culture managériale afin de faire émerger plus de leaders au service de leurs équipes ?
Thibault Beuken collabore auprès de son client depuis près de six mois pour repenser avec eux le paradigme de la fonction RH. Dans ce contexte, cela implique de remanier plusieurs volets, depuis le management de la performance (bilan annuel, suivi…), le suivi de carrière et la manière dont s’exerce la hiérarchie, pour la rendre plus souple et agile. Depuis plusieurs années, la banque bruxelloise travaille de manière agile dans toute une partie de son organisation (principalement dans l’IT), bien conscient du fait que le département RH est l’une des clés de la réussite ; pas uniquement en tant que département transformé, mais également, et avant tout, en tant que facilitateur, voire co-leader de la transformation organisationnelle.
Naturellement, aujourd’hui, de nouvelles questions émergent : comment valoriser le travail collaboratif ? Comment faire émerger des équipes non réduites à la somme de leurs individus ? Quels processus RH adapter ? Par lequel commencer ? Quelle attitude adopter vis-à-vis du changement ? Celle de l’architecte qui conçoit en laissant faire le travail par d’autres ? Celle du meneur qui transforme son département afin de montrer l’exemple de ce qui peut être fait ?
Deux choses sont certaines :
- La première est que les processus ont une influence décisive sur la culture d’entreprise (ex : il est difficile de promouvoir la collaboration lorsque tout le système de récompense valorise l’individu et sa performance individuelle). En effet, la structure fait la culture, et non l’inverse.
- La seconde est qu’un changement pérenne est un changement voulu. On ne peut pas forcer une personne à transformer sa manière d’être s’il ou elle ne le souhaite pas. Bien que le changement puisse être guidé et accompagné par un coach, il doit avant tout être désiré par ceux qui vont devoir faire l’effort. Le coach accompagne, mais avant toute chose, il doit choisir ses combats. Pour paraphraser le proverbe chinois “celui qui sait qu’il ne sait pas, éduque le mais celui qui ne sait pas, fuis le.”
Faire émerger une culture du changement
Sur le papier, l’approche de Thibault Beuken est relativement simple : “Mon travail consiste à favoriser l’émergence de nouveaux comportements au sein de l’organisation. Il s’agit tout d’abord de bien comprendre la problématique de l’entreprise en dressant un état des lieux d’après une analyse quantitative et qualitative. C’est une étape clé parfois négligée par certains clients, qui cherchent en engageant un consultant des réponses toutes faites, quasi indépendantes du contexte. Or, l’environnement est trop complexe et changeant pour qu’une personne puisse se targuer d’avoir défini un modèle applicable top/down.”
La première mission d’un stratège en transformation est de comprendre la culture et de s’y adapter. Une fois cette étape réalisée, il s’agit de définir une ambition sous forme d’OKR sous-tendue par la co-construction d’une vision. Enfin, place à l’accompagnement sur mesure visant à faire émerger un nouveau modèle organisationnel. C’est là que le plus dur commence : faire changer les choses, comportement par comportement. Cela passe par un mélange de formation, de coaching et de focus group inspirés par les travaux de Kurt Lewin, psychologue américain spécialiste de la dynamique de groupe.
“Avec Wemanity, nous cherchons avant toute chose à rendre le client acteur, à le mettre dans le siège conducteur, à faire preuve de réflexion, à penser, tester et échouer également. À une toute autre échelle, Hannah Arendt a explicité en quoi le mal peut résider dans les petites choses, notamment dans ce droit que s’accorde certains à “perdre en humanité” lorsqu’ils refusent de penser…. Voilà un premier vrai combat du coach : forcer les personnes accompagnées à penser !”, souligne Thibault Beuken.
Promouvoir la culture du feedback
Être plus collaboratif, cela passe notamment par le feedback. Tout le monde est toujours d’accord pour dire que le principe est salutaire ! La pratique permet de mieux comprendre l’autre, de promouvoir une approche plus people centric et customer centric, de faciliter la mise en place d’une gouvernance data centric et une meilleure prise de décision. Or, les managers sont souvent plus enclins à donner du feedback qu’à en demander ; c’est précisément une habitude qu’il faut changer ! C’est un comportement simple mais fondamental…
Paradoxe : alors que les organisations sont conscientes que c’est en demandant du feedback à leurs utilisateurs qu’elles les comprendront mieux et qu’elles prendront de meilleures décisions pour leur fournir de la valeur, les managers ne semblent pas encore avoir tous pris conscience qu’il en était de même avec les équipes. Ou ils le comprennent intellectuellement, mais éprouvent une difficulté à changer de posture.
“J’éprouve beaucoup d’empathie vis-à-vis de cette situation. J’ai été manager dans le passé et j’ai dû apprendre, et pas que dans la joie, à changer pour me mettre au service de mes équipes. C’est pour cela que j’organise des ateliers sur la sécurité psychologique, où je commence par révéler certaines de mes peurs et doutes dans le contexte de l’organisation que j’accompagne”, confesse le coach organisationnel.
“Je prends également le risque de demander du feedback de manière régulière, en groupe et de manière individuelle, et particulièrement lorsque les objectifs ne sont pas atteints et/ou que l’ambiance est mauvaise. Cela me force à développer une posture plus humble et empathique. Bref, plutôt que de leur expliquer la théorie, je fais de mon mieux pour illustrer le comportement par l’action.”
Le but de ces ateliers : valoriser ceux qui osent demander du feedback et les aider à transformer les retours qu’ils reçoivent en actions concrètes et conscientes pour augmenter la productivité de l’organisation, ou plus précisément, l’améliorer… Autrement dit : privilégier la qualité à la quantité, la production de valeur pour le client au fait d’être occupé, pour travailler in fine travailler mieux mais moins.
Transformer les leaders en ambassadeurs pour incarner le changement
Pour cela, Thibault Beuken a développé une méthode : “Je fais de mon mieux pour créer un environnement de confiance où le collaborateur peut s’exposer à la critique (ce qu’induit invariablement la demande de feedback), voire à en comprendre la valeur au point de la souhaiter de manière proactive.”
À terme, l’objectif est de créer une horde de volontaires adeptes du feedback qui agiront comme levier du changement à tous les échelons de la hiérarchie. Il faut lancer le mouvement en impactant quelques personnes clés, le plus haut possible dans l’organisation : DRH, CTO, CIO, au mieux CEO.
Plutôt que de payer des consultants, les leaders se transforment en ambassadeurs et incarnent le changement. Cela présuppose de sensibiliser les décideurs à une vision holistique du collaborateur, soit à l’accompagner tout au long de son employee journey, depuis son premier contact avec la société jusqu’à sa sortie. En entreprise comme ailleurs, le changement est avant tout individuel. Il faut donc être en mesure de démontrer aux collaborateurs ce que vos propositions peuvent leur apporter en termes de gains personnels : identification à la tâche et épanouissement au travail, ce que Friedrich Engels appelle “le travail vivant.”
À cet effet, Thibault Beuken a conçu un dispositif baptisé le “3 fois 3” : pendant 3 semaines, les collaborateurs s’engagent à poser 3 questions à toute personne avec lesquelles ils interagissent. Lorsqu’un manager s’engage à réaliser cet exercice, il le fait donc principalement vis-à-vis de ses équipes.
Les questions sont les suivantes :
- comment puis-je mieux endosser mon rôle ?
- comment puis-je t’aider à faire ton travail ?
- comment puis-je aider l’organisation à mieux réaliser ses objectifs ?
Une fois les semaines terminées, la personne accompagnée débriefe des résultats obtenus avant de définir avec leur coach un ou plusieurs objectifs de changements comportementaux. Il s’agit ensuite de co-construire des stratégies gagnantes, de mesurer le résultat obtenu et de le communiquer aux équipes pour favoriser confiance et sécurité psychologique.
Responsabiliser le top management
Le changement doit venir du top management car sinon, faire changer les comportements prendra beaucoup de temps pour peu de résultats !
Si les leaders sont convaincus dans l’idée, mais n’adoptent pas le dispositif, le message devient presque schizophrénique. On tombe dans le “Y’a qu’à… faut qu’on.” C’est une approche qui peut marcher, mais relève d’un paradigme bien différent de celui que l’on souhaite voir émerger.
“Il s’agit peut-être d’une croyance erronée, mais j’imagine difficilement une société de services au XXIᵉ siècle avec des leaders qui ne montrent pas l’exemple et réussissent pourtant à embarquer avec eux de manière pérenne des travailleurs de la connaissance, des ingénieurs, des créatifs, des gens instruits, facilement employables sur le marché”, souligne Thibault Beuken.
Sans le top management, il n’est pas possible d’atteindre le tipping-point, ce point de bascule qui s’opère lorsqu’une masse critique de collaborateurs (innovateurs et early adopters) adhérent à la démarche et la diffusent par porosité. Ce point est crucial, car c’est celui de l’autonomie pour la société cliente.
“Pour moi, autant que pour le sponsor interne, cette autonomie est synonyme de victoire. C’est le deuxième combat stratégique. Pour paraphraser Nietzsche, je me suis donné comme mission d’être le maître qui apprend à se passer de maître. Mon objectif étant de participer à la construction d’hommes libérés (empowered) et responsables (accountable)”, explique le coach organisationnel. C’est seulement une fois le point de bascule passé qu’il sera possible à la société de produire une culture adaptative et réceptive aux besoins changeants de leurs collaborateurs.
Non pas un énième changement de culture (un changement au sein du paradigme), mais l’émergence d’une culture du changement (un changement de paradigme).
Thérapeute d’entreprise : faire en sorte que les managers se remettent en question
Pour Thibault Beuken, les organisations ne changent pas : ce sont les gens dans les organisations qui changent. Et le déni, un mode de défense qui consiste à refuser la réalité et de l’appréhender en tant que telle, fait partie du jeu. Pour cette raison, le coach se pense notamment comme un “thérapeute d’entreprise.”
“Je suis là pour être le garant non pas d’une culture spécifique, mais de la mise en place d’une culture adaptative, la dernière nécessaire, celle qui permettra à un CEO de pointer une direction et aux collaborateurs de la réaliser. Dans le cas d’un département RH, cela implique de fournir plus de valeurs aux clients internes de l’organisation et d’améliorer la people experience”, souligne Thibault Beuken.
Pour faire émerger cette culture, il faut demander aux managers de se remettre en question, de ne pas se positionner uniquement en tant que manager, mais de devenir des role models. Cela implique de dévoiler certaines vulnérabilités, de casser le mythe de l’alpha male… Inverser la tendance, favoriser l’artisanat (craftsman) plutôt que le management scientifique, l’intuition intrapreunariale plutôt que le contrôle des gens et des KPI’s, les compétences dites soft plutôt que les compétences dites hard… Participer au triomphe de la libération de la vie.
À ce titre, le rôle du leader est primordial. Ce dernier doit avoir une vision, oser être vulnérable et bénéficier d’un “compte émotionnel positif” vis-à-vis de ces employés. Il doit pouvoir mettre son ego au service d’un projet plus grand que lui tout en s’entourant de personnes expertes qu’il cherche à comprendre et embarquer de manière libre et responsable. “Pour moi, il y a quelque chose de Ricardo et de Marx en eux, car ils ont tous l’intuition que quand les moyens de production sont les mêmes pour tout le monde, la réelle source de valeur ajoutée, c’est l’humain, sa force de travail et de créativité. Des bons managers travaillent sur les dynamiques de groupe et permettent à l’intelligence collective d’émerger”, affirme Thibault Beuken.
Pour cela, il appelle à une troisième révolution copernicienne, “la révolution copernicienne du management’, qui suppose une nouvelle prise de conscience : au centre de l’organisation, ni client ni profit, mais les collaborateurs. Son conseil à tous ceux qui désirent se remettre en question, en particulier aux managers, et qui tentent de répondre à la question : “comment faire pour licencier les gens de façon à ce qu’il vous référence dans la foulée à leurs meilleurs amis comme leur meilleur manager ?