S’il existe de nombreuses méthodes de travail adaptées aux équipes (Scrum, Kanban…), un cadre particulier s’avère nécessaire pour passer à l’échelle. Parmi les solutions disponibles pour faire travailler plusieurs équipes agiles ensemble, SAFe (Scaled Agile Framework) constitue un framework populaire mais parfois critiqué. Quels sont ses avantages ? Quels sont les points de vigilance dans la mise en place de cette méthodologie dans les entreprises ? Découvrez l’essentiel de SAFe via les conseils de Michael Gicquel, expert certifié SAFe® chez Wemanity.
- Que faut-il savoir sur le framework SAFe ?
A. Un framework d’agilité à l’échelle très complet
B. L’agilité à l’échelle d’un programme
C. Les avantages et inconvénients de SAFe - Comment réussir à appliquer SAFe dans son organisation ?
A. Les prérequis pour pratiquer SAFe
B. Les rôles à prévoir
C. Le principe de base : composer un Agile Train Release
D. Le PI planning et les autres événements
1. Que faut-il savoir sur le framework SAFe ?
Comme tout framework, SAFe ne représente pas une solution miracle pour pratiquer l’agilité à l’échelle. Sa mise en œuvre dans une organisation doit être adaptée à cette dernière puisque SAFe présente aussi bien des avantages que certaines limites.
A. Un framework d’agilité à l’échelle très complet
SAFe® a été développé par Dean Leffingwell, l’auteur du livre « Agile Sofware Requirements ». Dans son ouvrage, cet entrepreneur américain pose les bases du modèle sous le nom de « Big Picture », en réponse au besoin des grandes organisations de disposer d’un cadre pour aligner les différentes équipes travaillant en mode agile. L’idée a par la suite évolué vers la création de la société Scaled Agile en 2011, qui commercialise depuis des programmes de formation et de certification. Très populaire, le framework SAFe est utilisé par 35% des entreprises qui se transforment à l’échelle selon le 14ème rapport State of Agile paru en novembre 2020.
L’état d’esprit SAFe
Pour être utilisé correctement, SAFe implique de respecter cinq valeurs clés propres à l’état d’esprit Lean et Agile.
- Alignement : il s’agit de synchroniser les personnes et les activités sur un objectif et/ou un plan.
- Qualité intégrée : l’un des objectifs de SAFe consiste à délivrer le maximum de valeur, ce qui implique d’intégrer des pratiques de qualité dans le cadre de l’entreprise.
- Transparence : le framework demande à travailler en confiance, en faisant en sorte que les problèmes puissent être détectés. Des solutions seront donc dégagées pour atteindre rapidement les objectifs posés.
- Exécution : comme dans Scrum, les équipes fournissent régulièrement des livrables en respectant les principes dégagés lors du développement du projet.
- Direction : SAFe nécessite un véritable leadership et une équipe de management respectant le cadre et l’organisation relative aux principes de la méthode. Chaque participant aura les compétences nécessaires pour instaurer des conditions favorables à la transformation.
Cette méthode d’agilité à l’échelle est basée sur dix principes immuables. Dans les grandes lignes, le framework suppose d’avoir une vision économique et systémique, de travailler par itération et d’adopter une organisation permettant de visualiser l’avancement, de synchroniser les équipes et de délivrer de la valeur de façon cadencée.
Un modèle en couches avec des étapes
Au-delà des précisions relatives à la posture à adopter, le framework SAFe définit des pratiques différentes selon le contexte dans lequel il est déployé. Actuellement, la version 5.0 de SAFe distingue trois couches différentes.
La couche Essential regroupe les couches « Team » et « Program » qui étaient dissociées dans la version précédente. C’est à ce niveau-là que les organisations débutent par la synchronisation de plusieurs équipes qui embarquent dans un « train » virtuel appelé « Agile Train Release » (ART). L’Agile Train Release emploie certains principes. Il recourt à un nombre restreint de rôles, événements et artefacts afin de fournir des solutions pertinentes à l’échelle de toute l’entreprise.
La couche Large Solution est à appliquer dans un cadre supérieur au sein des entreprises. Elle consiste à aligner plusieurs trains (eux-mêmes composés de plusieurs équipes). Sa mise en œuvre s’accompagne de l’émergence d’événements, de rôles et conseils supplémentaires. Elle est utile pour travailler sur des solutions complexes dans une grande organisation.
Enfin, la couche Portfolio qui touche le management et les membres de la direction. Il s’agit d’un des principes de SAFe parmi les plus faciles à mettre en œuvre. Elle comprend des rôles et artefacts nécessitant des compétences spécifiques comme l’agilité organisationnelle et la culture de l’apprentissage continue.
Le framework SAFe va encore plus loin dans le détail en proposant une roadmap d’implémentation en 12 étapes. Par son degré de précision touchant tous les aspects (valeurs, principes, couches, roadmap), la méthodologie donne donc au premier abord un sentiment de complexité, voire d’usine à gaz ! En réalité, elle est plus simple à comprendre qu’il n’y paraît.
B. L’agilité à l’échelle d’un programme
Au-delà du vocabulaire spécifique employé, SAFe consiste à déployer la façon dont fonctionne une équipe agile à un niveau supérieur, en intégrant des éléments supplémentaires pour pouvoir synchroniser les équipes.
« Dans SAFe, on a plusieurs équipes agiles qui travaillent sur une même solution et qui ont des dépendances à gérer », explique Michael. « Dans ce contexte, on a besoin d’une couche supérieure pour gérer ces dépendances. Cela suppose de nouveaux rôles, de nouveaux artefacts et de raisonner à l’échelle d’un programme, et non plus d’un produit comme dans Scrum. »
Dans les grandes lignes, on retrouve donc dans SAFe le pendant de ce qui se pratique dans Scrum. Si elle doit prendre en compte les dépendances avec les autres équipes, chaque équipe embarquée dans un Agile Train Release fonctionne ainsi comme elle le ferait de façon classique dans Scrum, avec des rôles définis (Product Owner, Scrum Master, développeurs) et des points établis (sprint planning, daily meetings…).
En revanche, dans SAFe, de nouveaux rôles et événements apparaissent « au-dessus » des équipes. Encore une fois, la logique reste cependant proche de celle de Scrum, avec des événements qui sont calqués.
Quelques exemples :
- SAFe débute par la cérémonie du PI Planning (Program Increment Planning), qui est l’équivalent du Scrum Planning.
- Chaque semaine, le PO sync réunit les product owners des équipes pour un point de synchronisation, comme le fait le daily chaque jour au sein de chaque équipe.
- ART sync vise à synchroniser le PO sync et le Scrum of Scrum
- De la même façon qu’on a une sprint review et une rétrospective dans Scrum, on doit dans SAFe prévoir une PI System Demo et une rétrospective de PI appelée Problem Solving Workshop.
C. Les avantages et inconvénients de SAFe
Le modèle SAFe ne fait pas que des adeptes. Comme il se pratique sur trois mois et est particulièrement précis, il est parfois perçu comme trop contraignant et compliqué, voire comme anti-agile.
Pour autant, il faut lui reconnaître les avantages de ses inconvénients ! Même si SAFe est difficile d’accès sans formation, sa précision le rend rassurant aux yeux des organisations qui l’utilisent. Bien appliqué et adapté, le framework permet à différentes équipes de partager une vision et d’avancer ensemble sur des projets de grande ampleur, en évitant les problèmes de coordination habituellement rencontrés en l’absence de cadre (travail en doublon, malentendus, différences de cadence etc.). Comme il est conçu pour délivrer un maximum de valeur, l’outil se distingue en outre par sa performance : il sert à la fois le client final qui bénéficie de produits et services de plus grande qualité et l’entreprise qui réussit à affirmer sa vision de façon transverse.
Enfin, il génère de l’engagement chez les collaborateurs, lesquels sont amenés à présenter leur travail bien au-delà de ce qu’ils font habituellement. Ceux-ci bénéficient d’ailleurs d’une certaine liberté, puisque dans SAFe, il n’est pas prévu de développement de fonctionnalités durant les quinze derniers jours d’un incrément, de sorte à laisser les équipes innover.
2. Comment réussir à appliquer SAFe dans son organisation ?
Pour se lancer, l’idéal consiste à pratiquer SAFe au niveau de la couche Essential, c’est-à-dire en constituant un premier « train » (Agile Release Train). Le framework demande cependant des prérequis et implique de respecter certaines bonnes pratiques.
A. Les prérequis pour pratiquer SAFe
Le framework SAFe est assez compliqué à comprendre sans background agile. Pour l’implémenter dans une entreprise, mieux vaut donc déjà posséder une culture de la transformation et miser sur la formation.
La culture d’entreprise
Parce qu’elle concerne l’agilité à l’échelle, la méthodologie SAFe touche tous les niveaux de l’organisation, du top management aux équipes opérationnelles. Elle demande aussi de raisonner de façon transverse, en cassant les silos. Sans surprise, chaque organisation souhaitant l’implémenter doit, dans l’idéal, fonctionner avec des valeurs propices à cette transformation.
« Il faut une coalition du changement assez forte », précise Michael. « Elle doit être composée de personnes relevant de différents niveaux au sein de l’entreprise, y compris managériaux. Celles-ci doivent avoir une appétence pour la communication avec les gens, une capacité naturelle à amener le changement et un vrai leadership. La formation joue également un rôle important : il faut former à la fois les leaders de la transformation, les personnes qui joueront un rôle clé et les équipes.”
Les formations SAFe
Le site officiel de SAFe propose gratuitement l’ensemble des contenus permettant de comprendre et implémenter le framework dans votre organisation. En pratique cependant, difficile de faire de l’agilité à l’échelle avec cet outil sans formation ! Il existe au total une dizaine de parcours de certifications proposés par Scaled Agile, couvrant les différents rôles et contextes.
S’il s’agit d’un investissement conséquent puisque tout le monde doit être formé (des leaders aux opérationnels), il convient toutefois de noter que les formations peuvent être suivies par des équipes ne maîtrisant pas les bases en agilité (même si cela reste préférable).
B. Les rôles à prévoir
Pour pratiquer SAFe au niveau de la couche Essential, quatre rôles clés sont à attribuer.
Le RTE (Release Train Engineer)
Le RTE s’occupe du cadre méthodologique. Son rôle consiste notamment à faciliter la communication entre les parties prenantes et le bon déroulement des différents rituels (PI Planning, System Demo…). Il apporte également un soutien aux équipes et à la gouvernance dans l’optique d’atteindre un alignement et une amélioration continue. Pour cette raison, on désigne habituellement une personne qui sait gérer de gros projets et faciliter, comme un Product Manager, un Scrum Master senior ou encore un coach agile.
Le Product Manager
Il est chargé de la construction de la solution. À ce titre, il doit avoir une excellente compréhension des besoins du client pour développer une vision de la solution et construire sa roadmap. Pour Michael, il faut de préférence choisir « une personne disposant d’une grande connaissance produit, mais aussi de compétences de communication et de négociation, car ce rôle nécessite de savoir dire non, de prioriser. »
Le System Architect
Il doit définir et communiquer une vision architecturale qui sera partagée par les équipes composant un Agile Release Train.
Les Business Owners
Les Business Owner jouent un rôle clé dans la prise de décision sur les priorités, sur le contenu du produit ou des solutions, ainsi que dans la communication du contexte business au train SAFe. Ils peuvent être plusieurs par train et apportent un éclairage sur la partie business et la plus-value.
C. Le principe de base : composer un Agile Train Release
Comme vous l’aurez compris, SAFe démarre par la composition d’un « contenant », empruntant l’image du train, dans lequel seront réunies toutes les équipes agiles devant travailler ensemble. Concrètement, un Agile Train Release embarque entre 50 et 125 personnes, c’est-à-dire 3 à 10 équipes. Pour définir sa composition, SAFe invite à raisonner à partir de la notion de chaîne de valeur.
« Il faut d’abord identifier les différentes étapes permettant de délivrer de la valeur », explique Michael. Ensuite, il faut identifier les solutions supportant ces différentes étapes, puis, derrière ces solutions, trouver les personnes qui participent à leur développement. On part de la chaîne de valeur opérationnelle pour former son ART ».
D. Le PI planning et les autres événements
Le PI Planning constitue le premier événement phare de SAFe. Organisé sur deux jours, il rassemble toutes les personnes concernées en face à face et sert à planifier au démarrage les trois mois à venir. Lors du PI Planning, on identifie entre autres les dépendances entre les équipes, en cherchant avant tout à obtenir un alignement entre toutes les personnes qui composeront le train.
Si le cadre SAFe est très détaillé, il ne précise pas avec quel niveau de préparation aborder le PI Planning. Pour Michael, le programme de ce rituel est tellement dense que mieux vaut anticiper :
« Idéalement, il faut que les équipes travaillent un peu sur la création des user stories en amont du PI planning. Le mieux, c’est d’avoir des user stories définies soit complètement soit en partie, de sorte que durant le PI planning, il ne reste plus qu’à les découper au besoin, les détailler et les planifier, puis à gérer les dépendances avec les autres équipes. »
Le framework SAFe repose par ailleurs sur d’autres points, tous organisés dans un objectif de synchronisation et d’alignement.
Lors du PO synch hebdomadaire, product owners et product managers échangent ainsi sur ce qui se passe au niveau de chaque équipe, pour vérifier l’absence de problèmes. Le rituel « Scrum de Scrum » réunit quant à lui les Scrum Masters et le RTE pour gérer les éléments bloquants.
En conclusion, SAFe est à la fois facile à comprendre et complexe à mettre en œuvre. Il est donc important de préparer au mieux vos équipes si vous souhaitez utiliser ce cadre d’agilité à l’échelle, en investissant dans de la formation. Pour autant, une fois la décision prise, il convient de se lancer et de se tenir aux échéances fixées. Votre premier PI planning et votre première expérience de SAFe ne seront pas parfaits, mais c’est là une des composantes de l’agilité : pour s’engager dans la voie de la transformation, il faut expérimenter puis itérer dans une logique d’amélioration continue.
En résumé :
SAFe est un framework d’agilité à l’échelle très complet. Il a été développé par Dean Leffingwell, l’auteur du livre « Agile Sofware Requirements ». Dans son ouvrage, cet entrepreneur américain pose les bases du modèle sous le nom de « Big Picture », en réponse au besoin des grandes organisations de disposer d’un cadre pour aligner les différentes équipes travaillant en mode agile.
S’il existe de nombreuses méthodes de travail adaptées aux équipes (Scrum, Kanban…), un cadre particulier s’avère nécessaire pour passer à l’échelle. SAFe est une nécessité quand il s’agit de déployer la façon dont fonctionne une équipe agile à un niveau supérieur. Elle permet d’intégrer des éléments supplémentaires pour pouvoir synchroniser les équipes.
Le site officiel de SAFe propose gratuitement l’ensemble des contenus permettant de comprendre et implémenter le framework dans votre organisation. En pratique cependant, difficile de faire de l’agilité à l’échelle avec cet outil sans formation ! Il existe au total une dizaine de parcours de certifications proposés par Scaled Agile, couvrant les différents rôles et contextes.