De notre montre connectée à notre visite chez le médecin, en passant par la livraison de nos repas ou nos sources d’information, le numérique se glisse dans chacun des pans de nos existences. Au point qu’il y a aujourd’hui, en France, quinze fois plus d’appareils numériques que d’habitants ! Si elle s’observe d’abord dans les pays occidentaux, cette surpopulation concerne l’ensemble de la planète.
En cause ? L’impact sans commune mesure du numérique sur la consommation d’eau et d’énergie primaire, sur la production de gaz à effet de serre, sur l’épuisement des ressources abiotiques que sont les sols et les minéraux. On estime ainsi que, d’ici 2025, l’empreinte environnementale du numérique sera multipliée par trois à l’échelle mondiale par rapport à 2010, sa contribution à l’empreinte de l’humanité passant de 2 % à 6 %.
Heureusement, cette progression exponentielle est propre au numérique, sinon nous aurions déjà signé notre arrêt de mort. Mais, elle pourrait bien coûter la vie à nos tablettes et autres smartphones… Pétrole, métaux critiques, ressources abiotiques : les éléments qui entrent dans leur composition n’existent pas en quantité illimitée.
Le risque ? Transformer le numérique en produit de luxe. Au rythme où vont les choses, il n’est pas impossible en effet que, dans un futur proche, seuls les plus riches d’entre nous puissent grâce au numérique accéder à la culture, à l’enseignement ou aux soins. D’où, toute l’urgence de développer la sobriété numérique à titre individuel comme au niveau des entreprises.
Pourtant, ces dernières traînent encore à s’emparer des problématiques liées au numérique responsable. Cela est d’autant plus regrettable que les entreprises représentent un environnement propice à la sensibilisation au green IT et à l’écoconception comme nous le montrent nos experts.
1. Comprendre la sobriété numérique
Suppression des courriels, diminution des impressions, utilisation de moteurs de recherche dits “écolos”, etc. : les organisations ont encore tendance à se focaliser sur les usages pour réduire, en leur sein, l’impact du numérique. Or, le green IT va plus loin que le seul video bashing.
“Il désigne, explique Manaëlle Perchet, leader RSE chez Wemanity, l’ensemble des efforts et des pratiques qui visent à utiliser et à développer des solutions digitales, des produits, services et systèmes technologiques moins gourmands en énergie mais pas moins créateurs de valeur et adaptés aux besoins des utilisateurs”.
Ainsi, les mesures adoptées pourront s’appliquer à chacune des étapes du cycle de vie d’un produit : de sa conception à son élimination, en passant par sa fabrication qui, rappelle Manaëlle, “pollue bien davantage que l’usage”. Dans un monde idéal, observe Sébastien Solère, coach agile et numérique responsable, “le green IT et les réflexes “écoconception” qui lui sont associés devraient s’inscrire dans une approche responsable du numérique” qui tienne compte non seulement de son impact environnemental mais aussi social.
Quel intérêt, en effet, de développer une solution sobre si n’est pas menée dès la conception une réflexion sur la manière de ne pas rendre ses utilisateurs trop captifs ou de gérer les populations incapables en l’état de l’utiliser. “Pour moi, résume Lydie Huon, coach agile dont la casquette de product owner n’est jamais loin, le green IT ne saurait être dissocié des questions qui relèvent de l’économie de l’attention ou de la fracture numérique”.
Définition : “le green IT désigne l’ensemble des efforts visant à développer des solutions digitales moins gourmandes en énergie et ne saurait être dissocié des questions qui relèvent de l’économie de l’attention ou de la fracture numérique ”.
“Rares sont néanmoins les entreprises dans lesquelles le green IT appartient au registre de la RSE”, regrette Manaëlle. Trop souvent encore la prise en considération de l’impact digital est l’apanage de la seule DSI. Et ce “malgré le fait que la performance des entreprises dépend de la capacité des différents services à coopérer sur ces questions”.
Qu’il s’agisse de recruter de nouveaux talents ou de fidéliser ses utilisateurs, pour les entreprises, prendre le virage de la sobriété numérique n’est plus une option. “Si elles ne se précipitent pas, c’est parce qu’elles ne se trouvent pas encore au pied du mur”. Et Lydie de préciser : “elles ne considèrent pas l’économisation des ressources comme une obligation car elles ne sont plus contraintes techniquement de le faire”.
Pourquoi, en effet, économiser quand la puissance de nos machines a, ces vingt dernières années, été démultipliée ? “Un tel raisonnement aboutit au fait qu’il faut aujourd’hui 171 fois plus de mémoire vive pour faire tourner le traitement de texte Word qu’à l’époque de Windows 98… !”
2. Sensibiliser en entreprise
Un retard qui n’a rien d’une fatalité. À condition, toutefois, d’engager dès maintenant une démarche de sensibilisation. “Cette dernière, analyse Lydie, concerne en premier lieu les plus jeunes car ce sont eux qui auront à gérer ces problématiques à l’avenir. Mais c’est aussi l’affaire des organisations et des actifs car ce sont eux qui sont les maîtres du jeu aujourd’hui”.
- Premier chantier ? Procéder à une mise à niveau. Pour nombre d’entre nous, le digital se résume au cloud et donc demeure quelque chose de très diffus dont il paraît difficile de mesurer l’impact. Aussi, suggère Sébastien, “la phase d’acculturation doit consister à montrer que le cloud n’a rien de virtuel, qu’il s’agit ni plus ni moins de l’ordinateur de quelqu’un d’autre qu’il conviendrait de rendre le plus sobre possible”.
- Pour faciliter et accélérer la prise de conscience, la formation se présente comme le meilleur allié. Les programmes pourront dès lors revenir sur les grandes étapes de fabrication ou insister sur l’importance de l’écoconception et du design thinking circulaire.
- Ils pourront s’inscrire dans une démarche de certification des collaborateurs ou dans un cycle de conférences et de webinars.
“Chez Wemanity, commente Manaëlle, nous sommes notre propre laboratoire d’expérience. C’est cet état d’esprit qui nous a conduit à mettre en place une semaine de sensibilisation au green IT ou à développer l’outil Weimpact Carbone pour mesurer la navigation Internet”. L’objectif ? Gamifier la prise de conscience pour mieux encourager le partage de bonnes pratiques plutôt que de jouer la carte de la culpabilisation.
4 verbes pour autant de leviers de sensibilisation : acculturer les équipes, former à l’écoconception, certifier au green IT, embarquer le top management
Sensibiliser par le jeu ne signifie pas pour autant que le sujet doit être pris à la légère. Sur ce point, nos experts sont unanimes : la sensibilisation doit concerner autant les équipes opérationnelles que les managers. “Pour une entreprise, constate Sébastien, le levier le plus efficace demeure d’embarquer le top management. Si ce dernier se montre concerné par la sobriété, alors il va entraîner dans son sillage le reste de l’entreprise”.
La présence d’un directeur ou d’une directrice de la RSE senior est un bon indicateur de l’engagement d’une entreprise sur ces questions. Mais, comme le principal frein reste l’adoption de nouvelles habitudes, son action de sensibilisation doit se concentrer sur ce que les équipes réalisent au quotidien. “Aucune transformation ne pourra avoir lieu si les personnes qui font et celles qui conçoivent la stratégie des entreprises ne s’approprient pas ces nouvelles habitudes et les outils mis à leur disposition”.
Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas besoin d’être accompagnées dans la mise en place du bilan carbone de leur système d’information, la mesure de l’impact de leur service numérique ou l’analyse du cycle de vie de tel ou tel autre produit. Mais, in fine, “elles devront trouver elles-mêmes le chemin, les solutions adéquates pour leur activité, pour leur quotidien”. En somme, l’exact opposé de l’écologie punitive.
3. Les clés pour agir
L’enjeu ? Encourager les collaborateurs qui le souhaitent à monter en compétences. “Chez Wemanity, explique Lydie, nous disposons de la plateforme Vendredi sur laquelle chacun des coopérateurs peut s’inscrire à des challenges”.
- Lydie recommande également de participer à une fresque du numérique ou, plus généralement, à une fresque du climat et toutes celles qui lui sont associées.“Simples et ludiques, ce sont des outils puissants pour inciter les uns et les autres à l’action”.
- Mais avant cela, il faut savoir où l’on en est à titre individuel. Ainsi, Sébastien nous invite-t-il à solliciter “des organismes comme l’ADEME qui proposent des outils pour mesurer sa propre empreinte carbone ou des référentiels, véritables catalogues de bonnes pratiques”.
- Quant aux blogs et aux forums, ils constituent de précieuses ressources pour se documenter, échanger au sein d’une communauté déjà mobilisée pour ensuite sensibiliser son entourage au green IT et à l’impact écologique du numérique.
3. Comment monter en compétences ?
- 1) Participer à une fresque du numérique
- 2) Se documenter sur Internet
- 3) Mesurer son empreinte carbone
- 4) Parcourir les référentiels de bonnes pratiques
- 5) Engager la conversation
Car Manaëlle en est convaincue : “Nous assistons depuis quelques années à une élévation progressive des consciences. Agir de façon responsable, c’est donc accepter ce pouvoir d’action, mais également adopter une posture d’empowerment : afin de trouver les moyens, les pratiques et les outils permettant d’adopter de nouvelles habitudes, pour changer le monde chacun à notre échelle, et aider les autres à faire de même”.
Activer le changement suppose donc de savoir que l’on possède le pouvoir de choisir, de prendre les meilleures décisions. Or, dès que les comportements évolueront du côté des collaborateurs, les entreprises n’auront d’autre choix que de suivre. Dès que les consommateurs reverront leurs usages, les équipes produit n’auront d’autre choix que de se poser des questions.
“Ce produit est-il vraiment nécessaire pour le public visé ? Lesquelles parmi les 25 fonctionnalités envisagées intéressent vraiment les usagers ? N’existe-t-il vraiment aucune autre façon de répondre à ce besoin ?” Ce n’est qu’en trouvant des réponses à ces questions qu’il deviendra possible non seulement de “sortir du triangle de l’inaction” mais aussi, et surtout, de reprendre le pouvoir sur nos vies. Car, comme le résume parfaitement Lydie, “si l’on parle d’hyperconnectivité c’est pour mieux cacher combien nous sommes en réalité complètement déconnectés de notre présent”.
Quelques ressources pour aller plus loin :
- Pour obtenir des informations sur les fresques :
- Pour se renseigner sur les référentiels numérique :
- Pour se former au numérique responsable :
- https://institutnr.org/mooc-sensibilisation-numerique-responsable
- https://institutnr.org/mooc-numerique-responsable-complet (version longue et certifiante)
- Pour mesurer son impact :
- Pour trouver des idées pour agir à son niveau :