Parfois oubliés, les juristes sont pourtant concernés par l’évolution des méthodes de travail au même titre que les autres services, avec à la clé un nouveau rôle à jouer au sein de l’entreprise. De quelle façon conduire le changement avec ces profils ? Jon, coach agile chez Wemanity, accompagne la direction juridique d’une banque internationale sur le sujet depuis près d’un an. Découvrez son retour d’expérience et ses conseils.
- La sphère juridique, un cadre contraint pour l’agilité
- Des problématiques de silotage et de flexibilité
- Un enjeu stratégique pour les directions juridiques
- La nécessaire implication du CODIR
- Le middle management, la clé de voûte de la transformation agile
- Le besoin d’accompagnement des juristes sur le plan opérationnel
- S’inspirer des principes et valeurs agiles
- Les échanges au cœur de la transformation juridique
- Le delegation poker
- La mise en place de nouveaux processus
1. Métiers du droit et transformation agile : des enjeux spécifiques
En matière de transformation agile, les causes d’échec ne manquent pas, à commencer par une mauvaise compréhension du contexte. Les problématiques particulières rencontrées dans les services juridiques doivent donc être prises en compte dès le démarrage.
La sphère juridique, un cadre contraint pour l’agilité
Connaissez-vous la notion de triangle de fer agile ? Cette figure représente les contraintes de la gestion de projet, constituées du triptyque périmètre/coût et délai.
« Comme la qualité n’est jamais négociable », explique Jon, « on est amené à négocier le périmètre. Or, cela n’est pas forcément faisable avec le droit, puisqu’il y a un cadre légal et des obligations contractuelles. En cela, la transformation agile d’une direction juridique n’a rien d’évident. »
Pour autant, impulser le changement en commençant par le service juridique s’avère être un choix judicieux selon le coach : « Le service juridique est une des portes d’entrée les plus compliquées. Mais il y a un avantage : comme la plupart des services redoutent de passer à un mode de fonctionnement plus agile, ils constatent que c’est faisable ! »
Des problématiques de silotage et de flexibilité
Aussi utile soit-elle, l’expertise des juristes est susceptible de poser des soucis organisationnels :
« Chez le client que j’accompagne, les profils ont fini par se ressembler avec le temps, avec une uniformisation des modes de fonctionnement. Chacun est par ailleurs hyper expert dans son domaine, ce qui conduit à du silotage, un manque de communication interne mais aussi des soucis d’adaptabilité ».
En pratique, la transformation agile d’une direction juridique répond donc à des enjeux très opérationnels, tels que la capacité à traiter les dossiers d’un des juristes de l’équipe en cas d’absence (vacances, arrêt de travail…) ou de départ de l’entreprise.
Un enjeu stratégique pour les directions juridiques
Les juristes sont parfois considérés dans l’entreprise comme « ceux qui disent le droit » de façon austère. Autrement dit, ils sont perçus comme un point de passage obligé des projets, sans véritable reconnaissance de leur valeur ajoutée.
« Si la direction juridique était volontaire, c’est en partie pour un enjeu de positionnement stratégique » précise Jon. « Elle voulait démontrer la capacité des juristes à rester à la page dans un monde qui se digitalise. »
L’intégration de nouvelles méthodes de travail vise ainsi le rapprochement avec tous les autres métiers de l’entreprise et le développement d’une nouvelle posture.
« Plutôt que de positionner la direction juridique comme une simple étape de validation dans un processus, l’objectif était de faire d’elle un partenaire stratégique » poursuit le coach. « Cela veut dire travailler davantage avec les autres services sur des points qui ont une vraie valeur ajoutée, en intervenant plus en amont sur les dossiers. »
2. La transformation agile, une démarche à initier à tous les niveaux
Pour la mener à bien, la transformation agile d’un service juridique nécessite un accompagnement à tous les échelons de l’organisation.
La nécessaire implication du CODIR
En charge de la construction et de la mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise, le CODIR peut sembler bien loin des préoccupations rencontrées sur le terrain par les juristes. Son implication est cependant indispensable pour obtenir un alignement au sein de l’organisation, comme l’explique Jon :
« Il faut obtenir des membres du CODIR qu’ils adhèrent à la démarche, mais aussi qu’ils apprennent et intègrent quelques éléments de langage pour pouvoir montrer l’exemple. C’est ce qui donne du sens et facilite le déploiement. Cela permettra également au CODIR d’arbitrer au quotidien. »
Le middle management, la clé de voûte de la transformation agile
Lorsqu’il s’agit de conduire le changement dans une direction juridique, le middle management se trouve rapidement pris « entre le marteau et l’enclume », c’est-à-dire tiraillé entre la pression du business d’une part et le besoin de sécurité juridique d’autre part.
Un accompagnement spécifique s’avère indispensable pour aider les managers à bien comprendre la vision stratégique du CODIR, puis à la décliner au niveau opérationnel.
« La difficulté consiste à donner du sens aux juristes, sans perdre l’essence de la vision stratégique ».
Le besoin d’accompagnement des juristes sur le plan opérationnel
Comment aider les juristes à travailler avec les autres services ? De quelle façon les rassurer sur leur capacité à assumer de nouvelles responsabilités ? La transformation agile d’un service juridique passe par la prise en charge de ces questions, lesquelles touchent pour Jon aussi bien aux méthodes de travail qu’à la notion de confiance.
« Les équipes, et en particulier les juristes, ont besoin de se sentir dans un cadre sain et sécurisé. Elles doivent pouvoir s’exprimer librement dans leur écosystème et dans leur travail, sans craindre d’être punies ou de mettre en danger leurs relations professionnelles. »
3. Quelles pratiques et outils utiliser pour transformer un service juridique ?
Jon a accompagné une dizaine de membres du CODIR, environ vingt personnes du middle management et trois équipes opérationnelles. Ateliers de sensibilisation, workshops sur-mesure…les formats ont été variés et adaptés au contexte. Voici un focus sur quelques points à retenir.
S’inspirer des principes et valeurs agiles
En agilité, plusieurs frameworks existent, telles que Scrum, Kanban ou SAFe. Si celles-ci sont pertinentes dans bien des contextes, elles sont toutefois peu adaptées aux services juridiques.
« Avec ces méthodologies, on raisonne en termes de produit et/ou de projet. Or, un dossier juridique ne constitue pas vraiment un produit ou un projet…Le temps de traitement varie d’un dossier à un autre et il n’y a pas non plus d’équipe » constate Jon.
Pour cette raison, la transformation agile d’une direction juridique n’implique pas le recours à une méthodologie particulière, mais plutôt à l’application de principes, valeurs et bonnes pratiques. À titre d’exemple, la démarche doit comporter une réflexion sur les différents styles de leadership, en particulier sur le leadership collaboratif.
Les échanges au cœur de la transformation juridique
Pour créer de l’alignement et casser les silos, l’accompagnement de Jon a donné lieu à l’adoption de nouvelles pratiques visant à améliorer la communication.
Tout d’abord, un important travail a été mené pour instaurer une culture du feedback. Le top management et le middle management ont ainsi été invités à poser de façon régulière trois questions à leurs collègues et/ou collaborateurs.
- Comment puis-je t’aider à mieux performer au quotidien ?
- Comment puis-je t’aider à grandir dans ton évolution professionnelle ?
- De quelle façon pouvons-nous aider l’organisation à mieux fonctionner ?
Cette bonne pratique a par ailleurs été complétée par la mise en place de rétrospectives, pour évaluer la pertinence des modes de fonctionnement et imaginer des actions d’amélioration continue.
De nouveaux temps d’échange ont ensuite été instaurés entre les juristes, dans l’objectif de capitaliser sur la veille de chacun.
Le delegation poker
Au sein d’un service juridique, la distribution des sujets constitue un sujet épineux, comme a pu s’en apercevoir Jon :
« Le manager débordé doit déléguer, mais il peut être considéré par l’équipe comme un hyper-expert ou un super juriste. Cela conduit les juristes à s’autolimiter et à avoir peur d’être autonomes. »
Le delegation poker représente de ce point de vue un outil idéal pour redistribuer les rôles :
« Dans cet atelier, chacun vote sur le degré d’autonomie le plus pertinent, y compris le manager. Cela permet à l’équipe de dire qu’elle n’est pas à l’aise et au manager de rassurer. On identifie alors un chemin entre ce qu’imaginent l’équipe et le manager, qui devient par la suite une zone de confort pour tout le monde. »
La mise en place de nouveaux processus
Le travail accompli par une direction juridique manque très souvent de lisibilité pour les autres services, ce qui génère frustration et perte de temps. Pour que les juristes puissent concentrer leurs efforts sur leur valeur ajoutée, un nouveau mode de fonctionnement a été imaginé.
La saisie du service a en effet été structurée pour limiter les allers et retours. Régulièrement saisis à tort, les juristes ont aussi appris à « dire non » tout en étant dans une démarche d’assistance.
Après presque un an, les juristes se disent satisfaits de ces nouveaux modes de fonctionnement, tandis que le middle management apprécie la prise de recul et la nouvelle dynamique au sein des équipes. Il reste toutefois indispensable, avant de se lancer dans la transformation agile d’un service juridique, de garder à l’esprit que celle-ci se fait sur un temps long et dans le respect des convictions des équipes.
Vous souhaitez, vous aussi, rendre vos équipes plus agiles tout en bénéficiant d’un cadre et d’outils adaptés ? Consultez dès maintenant nos offres d’accompagnement.