En mars 2020, des milliers d’employés du monde entier découvraient la joie ou l’angoisse, selon, du télétravail. Un an et demi plus tard, ces derniers doivent progressivement retourner au bureau : un retour à une vie professionnelle qui ne sera plus jamais la même.
Alors que la plupart des salariés français ignoraient tout du télétravail en 2019 (selon une étude menée par la Chaire Workplace Management de l’ESSEC Business School auprès de 2 643 employés, seuls 19% d’entre eux en faisaient déjà), plus d’un an après, ces derniers l’ont tellement adopté que 73% d’entre eux souhaiteraient poursuivre l’expérience. Un défi pour les entreprises qui doivent assurer la transition dans le monde du travail post-Covid, mais surtout répondre aux nouvelles attentes de leurs salariés. Décryptage.
1. L’enjeu principal : le bien-être en entreprise
Depuis le 9 juin dernier, les salariés français sont désormais autorisés à retourner progressivement sur leur lieu de travail. D’autre part, le 1er septembre a marqué la fin du télétravail obligatoire pour les entreprises. Des mesures aussi attendues que redoutée pour des milliers d’employés, qui ont dû s’adapter à de nouveaux modes de travail durant ces derniers mois. De leur côté, les organisations doivent anticiper les appréhensions de ces derniers si elles souhaitent garantir un retour fluide dans leurs locaux, comme l’explique Fabienne Torrenti, membre du comité exécutif de l’Association des Directeurs de l’Environnement au Travail (ARSEG) dans un article publié en mai dernier sur le site de l’Usine Nouvelle : « Le premier enjeu est d’accueillir les collaborateurs en toute sérénité et de les rassurer face aux appréhensions engendrées par la crise sanitaire. »
Et pour fournir aux collaborateurs les conditions propices pour un retour au bureau optimal, des transformations majeures s’imposent. Car si le retour au travail en présentiel s’effectue progressivement, la pandémie perdure, et ses effets psychologiques vont encore se faire sentir pendant longtemps, une donnée avec laquelle les entreprises doivent composer pour répondre aux nouvelles exigences de leurs salariés.
Une métamorphose dont la clé de voûte se situe dans la restructuration de l’environnement de travail et le bien-être des salariés qui ont de plus en plus à cœur, dans le monde d’après, de travailler pour des entreprises qui correspondent à leurs valeurs*. Ce qui nécessite de la part des entreprises de revoir le bureau non plus sous le seul prisme de l’optimisation des surfaces, mais plutôt comme un nouvel espace d’échange innovant et intelligent. Une véritable révolution de l’open space en somme, qui s’oriente désormais vers de nouvelles configurations favorisant plus d’isolement pour les salariés mais aussi plus d’espaces d’échanges créatifs et de convivialité.
Parmi elles, le remplacement de caissons bas par des armoires/étagères afin de créer des petits “îlots” créatifs par équipe de projets, la mise en place d’éléments mobiles améliorant l’acoustique, ou encore la création de box « une personne » distribués autour d’un open space faisant office de salle de réunion. Mais aussi l’apparition du “flex-office”, à savoir un espace de travail où les salariés n’ont pas de place attitrée, et qui consiste en une optimisation de surfaces définissant les espaces de travail selon le taux de présence des salariés au bureau et leur nombre de jours de télétravail. Une méthode de travail qui laisse cependant les salariés assez mitigés à ce jour.
Pour faire vivre ces nouveaux espaces et donner envie aux salariés de (re)venir au bureau, les entreprises doivent donc redoubler de créativité et d’esprit d’innovation pour en faire non seulement un lieu de productivité, mais surtout un espace de détente et de bien-être en proposant des offres alléchantes à leur “carte” corporate, comme une restauration de qualité avec des produits bio, des services bien-être in situ (spa, salle de méditation, salle de sieste, yoga), ou encore la mise en place de services de santé (salle de consultation télémédecine, kinésithérapeute, nutritionniste, …).
2. Pérenniser le télétravail pour plus de souplesse
Bien que de nombreuses entreprises soient dans les starting blocks pour accueillir au mieux leurs salariés, le travail à distance est loin d’avoir été rayé de la carte. Au contraire, le désir de maintenir l’expérience est partagé par la majorité des répondants de l’étude de l’ESSEC, qui souhaitent poursuivre le travail à la maison à raison de deux à trois fois par semaine.
Les raisons d’un tel engouement ? Le calme et la concentration du travail chez soi, une souplesse dans l’exécution des tâches qui favorisent un meilleur équilibre vie privée vie professionnelle, un gain de sommeil par la réduction du temps de transport, moins de stress, mais aussi plus de productivité. Et le plus célèbre des managers au monde, Mark Zuckerberg, CEO de Facebook, ne fait pas exception à la règle puisqu’il a lui-même annoncé qu’il passera les six prochains mois en télétravail. « J’ai trouvé que travailler à distance m’offre plus d’espace pour réfléchir à long terme et m’a aidé à passer plus de temps avec ma famille, ce qui m’a rendu plus épanoui et plus productif au travail. Nous avons appris de cette année qu’un bon travail peut être effectué depuis n’importe où. »
Un moyen aussi pour les entreprises et les patrons de profiter des possibilités offertes par le télétravail pour alléger leurs factures immobilières et échapper à certaines taxes, comme sont en train de le faire des géants de la tech à l’instar du spécialiste logiciel Oracle ou encore de Tesla, qui désertent peu à peu le soleil californien de la Silicon Valley pour les terres texanes, plus avantageuses financièrement. Sur l’aspect financier, et plus particulièrement sur les microcrédits, il existe notamment des solutions pour souscrire à un micro crédit jusqu’à 1000 euros.
Un télétravail qui nécessite néanmoins quelques aménagements pour être mis en place correctement et dans les meilleures conditions, comme le déclare Fabienne Torrenti “Au-delà du nombre de jours, il va également falloir négocier des accords sur l’équipement des collaborateurs, comme les chaises de bureau ou les caméras ».
3. …Sans oublier le droit à la déconnexion…
Car l’essor du travail à distance ne vient pas sans son lot de doutes et d’interrogations, notamment au regard du droit à la déconnexion. Si de prime abord il peut sembler avantageux de travailler de chez soi, en économisant sur le temps passé dans les transports et sans collègue intrusif pour vous déconcentrer avec le récit de son dernier week-end au cap-Ferret, la réalité est légèrement moins reluisante. Une enquête réalisée par l’Ugict-CGT avec la Dares lors du premier confinement en mai 2020 a montré que “près de 80 % des télétravailleurs” disaient ne pas disposer d’un droit à la déconnexion.
Le podcast “Travail en Cours” de Louie Média dans son épisode sur “le droit à la déconnexion à l’épreuve du télétravail”, vient renforcer cet argument en mettant en lumière l’amplification des flux de communication hors temps de travail depuis le début de la crise. La communication numérique se retrouve dispersée et vient créer de nouvelles mauvaises habitudes, souvent excluantes pour certains salariés, comme l’explique Arthur Vinson, fondateur de Mailo – une société de messagerie respectueuse de la sécurité et vie privée de ses collaborateurs “Quand on envoie des emails en dehors des horaires de travail, on crée un espace qui ne soit pas inclusif, car on exclut de fait ceux qui n’ont pas de smartphones ou une vie de famille bien remplie.”
Un système qui va aussi à l’encontre du droit à la déconnexion en vigueur en France depuis 2017, et garantissant le droit pour tout salarié d’être déconnecté de ses outils de travail pendant ses temps de repos. S’il ne veut pas se refermer comme un piège sur le salarié, le télétravail doit donc se réguler, et pour cela, Arthur Vinson préconise l’option de l’envoi différé d’un message, des alertes au manager quand il y a des excès de connexion, ou encore le blocage des serveurs informatiques après une certaine heure. Des mesures qui sont souvent contournées ou ignorées, car l’impératif de connexion reste malheureusement toujours perçu comme un signe ostentatoire de performance.
4. …Et la nécessité du lien social
Dans ce contexte de télétravail régulier, le rôle de la communication interne devient alors primordial pour maintenir le lien social et les relations dans l’entreprise, à distance comme en présentiel. Un point auquel les managers doivent faire attention, comme le confie Mathieu Gabai, directeur d’une agence de communication corporate, au magazine Capital “La période a très fortement accéléré les besoins en matière de communication et notamment vis-à-vis de l’interne. Les entreprises doivent construire et déployer des plans de communication ambitieux, structurés et mesurés”.
Mais si les apéros visio d’entreprise, séminaires en ligne ou et autres innovations sont le garant de la réussite du travail à distance, ils ne peuvent se substituer au vrai lien social qui a encore de beaux jours devant lui. Car loin de l’eldorado que représente le travail à distance pour certains, le corps médical et les professionnels de santé se réunissent pour dire que travailler 100% à distance n’est pas conseillé, et qu’il nuirait même à la productivité au-delà d’un certain seuil, comme le souligne la psychologue du travail Dominique Lhuillier au magazine 20 minutes, “On n’a pas fini de mesurer l’impact du Covid-19 … Les impacts psychiques sont déjà très importants et ils vont l’être encore plus, ça peut être en différé, il va y avoir des phénomènes de décompensation. On a vu déjà l’angoisse massive avec le premier déconfinement. »
Retrouver ses collègues autour de la machine à café ou d’un déjeuner serait donc une nécessité vitale, pour éviter de tourner en rond, et de ruminer ses angoisses seul(e)s. Sans oublier que pour beaucoup, se rendre au travail est aussi une échappatoire, une bouffée d’air frais, loin de la sphère domestique, notamment chez les salariés qui ont de jeunes enfants par exemple, chez ceux qui n’ont pas la chance d’avoir superficie suffisante pour travailler sereinement de la maison tout en cohabitant avec leurs enfants, ou encore chez ceux qui ne disposent tout simplement pas de l’infrastructure nécessaire minimum pour effectuer leur travail correctement.
Pour bénéficier du meilleur des mondes, en présentiel et distanciel, « il faut savoir exploiter les moments au bureau de manière positive », conseille Valentina Urreiztieta, une psychologue clinicienne dans un article de l’Alsace. Laquelle ajoute « les pauses café et autres moments informels doivent être considérés comme aussi importants que le travail en lui-même, car ils permettent de rétablir l’esprit d’équipe, la confiance ».
Alors si vous hésitez toujours entre retourner au bureau, ou rester enfermé dans votre “cabane”, pas besoin de choisir. Le monde du travail restera à jamais transformé par ces derniers mois passés sous cloche et le modèle hybride, partagé entre journées de télétravail et de présence aux bureaux, semble le plus prisé par la majeure partie des entreprises. Il faut néanmoins ne plus oublier qu’il devra être correctement accompagné afin de continuer d’incarner un idéal de travail, et ne pas devenir autre chose qu’une nouvelle oppression digitale. Bonne nouvelle, les nouvelles générations, qui n’acceptent plus de sacrifier leur liberté pour l’emploi, se chargeront bien d’y veiller, tout en gardant à l’esprit l’irremplaçable nécessité du lien.
* Selon le Baromètre de la santé psychologique des salariés en période de crise » Opinionway pour Empreinte Humaine / Etude « Les Français et les changements de vie » Opinionway pour ING)